L'enfer

Seule dans sa cuisine, une femme prépare une pâtisserie pour ses enfants. Dans sa tête, c'est le chaos : un double intérieur menace en permanence de la faire chavirer. Elle se parle à elle-même. L'écrivaine, épouse et maîtresse de maison raconte cet Autre présent en elle, cette ombre mauvaise qui la tourmente. Le geste anodin du pétrissage accompagne les mots, sculpte la matière molle et donne des contours à ses obsessions. Elle malaxe, frappe, triture, étire, tranche. Des quatre kilos de pâte à pain sortent des cris muets, des humains minuscules, des masques... Comme un jeu enfantin avec ses propres névroses. L'écriture de Marion Aubert, franche et directe, dénuée de pathos, marie cruauté et fantaisie pour dire le petit théâtre pulsionnel qui nous agite de l'intérieur. La jeune dramaturge a conçu ce texte pour la compagnie Label Brut, alors en pleine réflexion sur les monstres d'aujourd'hui. Babette Masson nous fait entrer dans l'intimité mentale d'un être en lutte contre son "diable gardien". On reste sans voix devant le vertige qui se cache sous la banalité. Unique et troublant.

Les acteurs du collectif Label Brut savent manier les objets ordinaires pour nous embarquer hors du quotidien. Avec eux, nous nous aventurons sur le terrain du théâtre d'objets. Y règne une liberté totale : tous les matériaux sont susceptibles d'être animés. Dans la confrontation avec la matière, Babette Masson, Laurent Fraunié et Harry Holtzman cherchent des façons neuves de faire du théâtre. Sans s'effacer derrière l'objet et en conservant leur présence de comédien, ils font parler les choses qui nous entourent. Et se révèle notre humanité... ou notre inhumanité. Dans leurs bagages artistiques, il y a leur expérience avec Philippe Genty, grand nom du théâtre visuel. Il y a aussi le savoir-faire de Babette Masson, qui co-dirigea la compagnie Nada Théâtre, pionnière du théâtre d'objets dans les années 1980.