Une solitude dont on rit. Alceste, homme seul malgré l’ami Philinte; plus seul encore quand Célimène, cette femme qu’il aime, comme un fou, le frôle, lui parle, le touche. Raide, hautain, méfiant, s’isolant donc encore devant Arsinoé, ce sexe épris de lui qui l’accule et qu’il exècre. Désolément seul de nouveau, quand il devine l’aveu enfoui d’Eliante, autre femme aimante, si belle pourtant mais que lui n’aime pas. Et ces difficiles retranchements, ces guerres cruelles, que son cœur, tous ses muscles lui ordonnent, face aux marquis, gracieux imbéciles, face à Oronte, poète élégant tellement idiot quand il pourrait ne pas l’être. Et ces hommes de loi, cachés dans les coulisses, tous ces procès injustes, étouffants. Alors pour respirer, il faut se terrer. Aucun autre avenir. Mais Célimène ne suivra pas Alceste dans le désert qu'il veut. Elle, veut le monde. Elle est jeune, elle veut les autres. Alceste ne les voudrait donc pas? Oh ! que si ! Mais il les veut beaux, grands, clairs, simples, honnêtes. Il les veut dans la splendeur humaine, qu’il sait là, si près de chaque homme qui naît. Juste dire doucement, avec respect, les alexandrins magnifiques de Molière, pour les comprendre, les entendre, les respirer et les lancer au spectateur. L’acteur, habillé de velours et de brocarts, de perruques Louis XIV, de pourpoints ou corsets, oui, pour que le spectacle soit joli, à la hauteur des mots, mais l’âme nue, disponible, humble, le cœur pris par l’auteur, le seul guide qui vaille. Voilà les chances uniques de trouver la vraie source de la grande comédie du Misanthrope, de la raconter, de la faire sienne. Vivante, spectaculaire.

La Troupe a joué Molière pour la première fois en 1995. C'était avec le Misanthrope. Un premier rendez-vous, important et grave avec l'auteur. Forcément maladroit, un peu pressé que j'étais, adolescent chef de troupe, en dépit ou en raison de mes trente-sept années. Mais, je le sais, la rencontre fut. Marquante, jolie, amoureuse ... et j'avais connu un peu de l'homme Poquelin. En l'an 2000, nous revenions à lui, avec le Malade Imaginaire. Epuisant mais ravissant. En 2004, la Troupe se délectait et suait avec les Fourberies de Scapin. Et je ne parle pas de mes nombreux travaux sous diverses formes, ateliers, stages, rencontres, autour de Tartuffe, Amphitryon, l'Avare, l'Ecole des Femmes, les Précieuses ridicules ; et ce Médecin malgré lui, fabriqué avec des amateurs disciplinés, donc touchants. Et la tirade d'Elvire, dans le Dom Juan du maître, qui guidait ma plume quand j'écrivais Serviteur, le spectacle des Loges de l'année 2005. Molière. Molière, si présent dans mes jours, depuis tant d'années. Mais cette fois-ci, reprenant le rôle d'Alceste, croyant pourtant avoir entendu les douleurs et leurs pleurs, la solitude et ses horreurs, les amours et leurs passions, les colères, les folies, toutes les guerres de cet homme de théâtre véritable, le seul peut-être, particulièrement quand je jouais Argan, le malade pas imaginaire, je me dis que, décidément, Jean-Baptiste est le terrible exemple, et comme j'aimerais être certain, de si loin que ce soit, qu'il me regarde au moins, et me parle, et me dise : « Continue, Michel, ne consens pas, tu ne te trompes pas. » Oui, je l'affirme, je serais un peu son ami, et il serait, sans doute aucun, le mien. Michel Mourtérot