A l'origine, un défi : adapter sur scène ce chef d'oeuvre classé à la première place des cent meilleurs livres du XXème siècle. Sur le fil du récit, simplicité et poésie rivalisent d'une grâce fulgurante, pour creuser chez le lecteur une faille sans réponse. Mais la scène nous livre une clé : un regard spectateur, inquisiteur, sur un personnage impénétrable et énigmatique - vide du sens commun et pourtant ivre de vie : Meursault, étranger de lui-même, étranger face aux autres, face à une communauté - la nôtre ? - bien pensante, sensible, logique enfin.

La mise en scène est épurée : sobre et stylisée. A travers chants et symboles, sur les cordes expressives du violon, se fraie le ballet de deux corps : la présence, nue, sincère, luminescente de l'acteur - que vient tour à tour sublimer, menacer et immoler celle de l'actrice - image insaisissable et fuyante, figure à la fois de la victime et de l'autorité, des masques de la société, de la mort omniprésente.

Les corps, les postures tendues à l'espace, créent le défilé des images vécues. Ainsi revit-on l'histoire d'un destin abrupt, miroir vertigineux du sens de notre existence, de son absurdité fondamentale, de sa solitude, de sa liberté aussi, malgré tout. Et l'on se laisse guider par les interprètes, entre incarnation et distance, sur le flot des sensations et des mirages - jusqu'au silence.