"Moi je sais ce que je suis. Vous, vous êtes le seul à savoir le peu que je ne suis pas." Le chef de la Gestapo, Heinrich Himmler, a un ami, un seul : le Dr Kersten, son médecin personnel. Les deux mains du praticien sont les seules à soulager les maux du chef de la Gestapo. Et chaque fois que Himmler en ressent le besoin, l'expert en thérapie manuelle est là. Avec ses honoraires... "d'une autre nature" !!! Comment peut-on soigner le patron des SS, le maître d'oeuvre des camps de concentration, le "fidèle Heinrich" ? Pour quoi ? Pour qui ? La (petite ?) histoire méconnue de la grande nourrit une création qui fera date. Dans chaque homme il y a un bourreau et une victime, du noble et de l'ignoble, un traître et un désavoué : Antoine Nouel livre sur ce thème, avec la participation de Frank Baugin, un bijou d'écriture au ressort implacable qu'il met et sert lui-même en scène avec Philippe Bozo et Franck Lorrain, ses partenaires de jeu, tous admirables, subtils et puissants. Et vous que feriez-vous ? interroge le Docteur riche de milliers de vies sauvées. La pièce a toujours une actualité qu'on peut regretter. La salle est comble, comme tous les soirs, et lui fait un triomphe. Il est prudent de réserver... Deux Mains la Liberté Antoine Nouel avec la participation de Frank Baugin Mis en scène par Antoine Nouel Avec Philippe Bozo, Franck Lorrain et Antoine Nouel Lumière : Den Schlepp Son et images : Philippe Bozo # écrit le 30/12/22
Que serait la vie sans amour, sans souci et sans Cinq de Coeur ?... Difficile à imaginer. Et triste surtout. Alors heureusement Cinq de Coeur existe et leur bande originale fait briller chaque instant de notre vie : amour, souci, problème. Et tous ces petits instants qui font les secondes de la vie. Comme un film de Demy ce groupe des 5 a cappella, unique et épatant, change un jour banal en comédie musicale. Du réveil façon Clint Eastwood à la recherche de son regard bleu acier et de sa mission de la journée, au soir, la fête, ses bulles et cette fille ou ce gars qui vient d'Ipanema. Getz, Strauss (celui de 2001), Gainsbourg et les autres... notre journée arrangée (comme on dit du rhum ou de morceaux revisités avec goût) est un voyage au pays des émotions et des sentiments partagés. Un régal d'humour et de virtuosité empreint de tendresse et de légéreté. Nous chantons sous la douche et c'est du Sacha Distel. L'été corse est aussi indien et tonique. Les fantômes - juste une illusion - de nos rêves chantent X-Files et volent les dents sur des airs réfrigérants. On fugue sur Soprano, on broye du noir sur Mozart et on revient le coeur... chamalow. Tout est juste, précis, dynamique et enlevé, avec de fortes personnalités et un collectif incroyable. Philippe Lelièvre leur offre un écrin vif, coloré et facétieux : humour, goût et maturité signent ce show. L'air de rien, Cinq de Coeur nous offre un show de haut vol. Le public leur fait une ovation debout. Respect comme dirait Aretha. # écrit le 30/07/19
L'homme a l'avoir, le savoir et le pouvoir pour avancer. Et il a la confiance, le mystère et tout ce qui lui échappe pour grandir. Comme la rencontre avec Le Petit Prince au Studio Hébertot de Sylvia Roux. Grand, barbu, un poil blasé l'aviateur tombe du ciel devant nous. Près de sa tôle échouée en plein Sahara, on pense aux planches de Pratt. Notre Corto des airs a huit jours d'eau et de vivres et son avion à réparer. Pas le temps de lézarder. Et pourtant... Texte fabuleux Le Petit Prince se vit et se voit avec la Compagnie Le Vélo Volé, comme un livre géant. Personnages et décors changent à vue dans un rythme parfait. Guillaume Aufaure, sa musique, sa guitare et ses pédales ouvrent le temps et l'espace en live. Ami des etoiles le Petit Prince fait le reste : un tour de la carlingue inerte en sautillant et nous voici avec lui sur une des planètes de son incroyable périple. Francois Ha Van signe une mise en scène tendre, alerte et colorée. Comme son héros. Le Petit Prince est un voyage interieur riche en rencontres. Le roi, le businessman, le renard, la rose... chacun vit en nous et aucun n'est pareil. Hoël Le Corre et Matthieu Madeleine déploient ce jeu subtil et cette palette variée avec grâce : ils passent d'un personnage à l'autre sans crier gare. Des couleurs vives aux rayons de lumière tendres et lucides, les deux acteurs partagent toute une galerie de caractères et d'émotions. Dans la salle comme en apesanteur petits et grands, tous respirent le plaisir du conte et du poème réunis. Avec pour le sublimer le pari réussi d'un Petit Prince joué par une femme. Tendre et irradiant comme le Chérubin des Noces. Mystérieux et poignant comme le Bowie de L'Homme qui venait d'Ailleurs. # écrit le 28/03/19
Deux femmes au cimetière. Entre elles il y a une génération, une vie aussi et une amitié nouvelle et déjà si grande. À la vie à la mort. Danielle Mathieu-bouillon livre deux héroïnes sur-mesure à ses actrices. Son texte écrit et porté avec grâce dit la vie, la mort et leur mitan qu'on dit aussi fin de vie. Comment s'y préparer quand on est vivant ? Et comment l'accueillir quand il est douleur et désir de la fuir ? Pour cette création-commande au nombre de soirées compté - 10 représentations chaque mercredi jusqu'au 20 février - Sylvia Roux invite au Studio Hébertot un sujet fort, personnel et sensible. Sans dogme ni tabou elle ouvre coeur et âme et des portes souvent fermées. Chacun d'entre nous ou presque souhaite finir ses jours chez lui. Combien s'y préparent écrit à l'appui avec l'aide d'un proche confident ? Poétique et direct Le Choix de Gabrielle est un pur et grand moment de théâtre où la vie prend le pas sur tout ce qui est décor, apparence ou superflu. Comme pour une lecture intime et à nu Bérengère Dautin et Sylvia Roux plongent dans le texte et leur parfaite complicité pour partager le message qu'elles incarnent : ce qui nous relie est plus fort que ce qui nous sépare. Un acte d'amour intense, subtil et sans détour pour les vivants et les morts que Bérengère Dautun et Sylvia Roux incarnent au plus haut point, avec grandeur et naturel. Nous sommes emportés, stimulés et bouleversés. La salle ovationne les deux actrices, leur équipe, Robin Laporte, Michel Winogradoff, Mine, Marie Sauvaneix-Lazowski, Marie-Christine Franc et l'auteure présente et émue. Une pièce imparable au texte et au duo parfait. # écrit le 04/01/19
Samedi Paris circule à peine mais on vole Salle Gaveau. La Dolce Volta fait son festival. Florian Noack ouvre le bal. Son piano voyageur trans-folklore et classique nous invite sur ses lignes. Dans son programme comme sur son clavier coloré le pianiste joue avec le temps, l'espace et les frontières. Au début il y a la valse : viennois jusqu'au bout des doigts son Schubert "pose clairement le 1er temps, joue le second et si vraiment on y tient le troisième." Nous volons légers et sereins sur les douze miniatures chapelet d'émotions. Plus vers le Rhin le jeune artiste marie voix et piano dans sa transcription des Deutsche Volkslieder où Brahms fond chants populaires et savante harmonie. Le temps, les couleurs, la mise en espace et les nuances, un petit choeur semble conter chaque histoire. La quête de saveurs musicales populaires nous conduit au sud. Cap España. Joaquin Nin met la fièvre du flamenco, le son de la guitare et le clac des talons dans le piano de sa Danse Ibère. Olé ! On reprend le voyage : outre-atlantique Rachmaninov soigne son mal du pays et de piano avec des Chants Populaires Russes. Florian tire l'orchestre et les choeurs du 3ème de son piano nostalgique : le drame de l'exil et de la jalousie étreint le coeur de Gaveau. L'Italie nous appelle et avec elle la Tarentelle de Martucci, une version diabolique transcrite par Florian de celle pour orchestre. Le virtuose se régale et transcende le pacte passé avec la danse. Le public aux anges lui fait un triomphe et obtient en bis deux autres pépites de son Album d'un Voyageur (Diapason d'Or) : un cristallin et citharesque Komitas (danse arménienne) et un gaillard et irlandais Grainger, Molly on the Shore. Florian Noack nous parle, joue et semble improviser. Et sa musique, de toujours et d'ailleurs, c'est notre voyage. Original, vivant et exaltant. # écrit le 04/01/19
Artiste libre, exigeante et généreuse Ludmila Berlinskaïa nous fait ce (vendredi) soir Salle Gaveau un superbe cadeau. Elle joue sur scène, en toute transparence, les 4 pièces immenses réunies pour Melodia comme piliers de sa vie. Le public salue son arrivée et offre au 1er joyau de la soirée l'écrin tendre et parfait d'un silence rare. On dit que Beethoven entend un quatuor quand il compose : sous les doigts de Ludmila l'opus 109 nous le confirme. Les voix chantent, respirent, s'attendent, se mêlent et se croisent. L'artiste nous dit ce qu'elle aime : le contraste, les frontières, l'onde subtile et légère qui balaie les sentiments contraires. La vie ne vaut d'être vécue que si la musique nous la fait vivre une seconde fois. Medtner trouve dans sa Sonate-Réminiscence le juste lyrisme et le relief précis pour dire l'unité de ce qui nous relie, à nous et à la vie. Ludmila Berlinskaia met son jeu fluide au service de cette évocation où le présent côtoie tous les temps. Après l'entracte et avec Schumann il est temps de ne plus être sage : la pianiste nous prend dans la folle spirale des Kreisleriana. Le tempo est vif et la virtuose aux anges. Elle crée devant nous la matière vivante, fruit du travail patient de l'artiste et de ses plus hautes aspirations. Elle en extrait chaque atome au creux de piani infinis qui ondulent et éclatent comme de fines bulles ouvrant vers d'autres pianissimi. Jouant il y a peu un Erard qu'il avait aussi joué, Ludmila Berlinskaia se demandait : "Ah ! Si la pensée intime de Ravel pouvait me parvenir à travers l'ivoire de cet instrument". Puisant dans sa science, elle ouvre ce soir son Steinway fier et fort de ses nuances, sur le coeur et l'âme des compositeurs qu'elle invite. Les Valses Nobles et Sentimentales semblent les réunir, avec la douce et savante ironie de Ravel. Amadouer ses souvenirs peut être un plaisir aussi vain que la valse, mais quelle grâce à le faire avec une aussi belle musique chante Ludmila. Et quelle joie de le partager avec nous battent nos mains veillant à ne pas rompre le charme. Liadov et Scriabine signent les 2 bis du concert immense et personnel d'une artiste unique. # écrit le 06/02/18
Humble, fervente et assoiffée de savoir Lou von Salomé a tout pour plaire et pour déranger. Dans son texte et sur scène Bérengère Dautun s'en saisit comme d'un double. Et ce que nous voyons et entendons est beaucoup plus que du théâtre. Lou naît à St-Petersbourg le jour où Alexandre II abolit le servage. Vision, courage et farouche liberté vont la guider. Et plus Lou s'affranchit, plus elle se découvre elle-même et révèle ceux qui l'entourent. Leur exigence, leur science, leurs amours et leurs renoncements. Là où une muse réveille les arts, Lou réveille les autres, bouscule les sciences et secoue l'ordre établi. Bérengère Dautun confie à Sylvia Roux le soin de jouer ce double : de l'enfance au coeur des uniformes à la mort au coeur des idéaux nazis, l'ombre du père perdu à 13 ans plane sur cette vie unique et dense et sur la scène. Anne Bouvier y tend une toile où les marqueurs de l'histoire s'allument pour chaque tableau. Elle dispose autour les objets signifiants du destin unique de Lou : son enfance, sa sensualité, l'image de l'autre. Bérangère Dautun s'amuse à camper les figures autour de Lou : sa mère et son père d'abord, Nietzsche, Rilke, Freud et les autres, puis une Lou âgée. Les deux actrices excellent à donner au ton de la correspondance d'un texte riche et ciselé le parfum des climats à cheval sur deux siècles et le sens d'une vie unique et absolue. On ressort sous le choc de ce destin libéré et révélé avec une lumière intérieure saisissante. # écrit le 23/11/17
You-You part à la retraite et son mot de départ file en quenouille. La secrétaire yougoslave lâche ses notes et dérive : les russes (pas tous communistes), le fils du ministre (fidèle à sa promesse), le Danube (pas bleu mais beau), le Pont des Arts (ses étudiants et ses sans-abri), ses souvenirs affluent et tombent, sans appel. Jovan Atchine signe en 1983 un texte vivant et décapant. Créée en 1993, la pièce garde une actualité intacte : ce destin humble et racé est universel et nous attrape tous. Dans la mise en scène délicate et parfaite de Élodie Chanut, Mina Poe nous ouvre le livre de la vie avec grâce et talent. You-You et les siens vont et voguent comme au gré d'un fleuve. Les peines, les joies et l'amour aussi. Nous volons avec elle et son jeune amant au Cabaret Tzigane, passons un Nouvel An deux enfants sur les genoux, entrons dans la cour d'un ministre un caillou dans la chaussure... Comme You-You revient au fil de son discours (jusqu'à une incroyable conclusion) Mina Poe tient celui de l'émotion avec un lent et savoureux crescendo. La salle est captivée. Parler des migrants avec cette flamme rayonnante et bienveillante est un vrai don : il faut courir en profiter et le partager. Sylvia Roux ravive dans son théâtre une pépite qui vaut tous les discours. Et beaucoup d'amour. Bravo ! # écrit le 11/10/17
On rit, on vibre, on aime et fait un triomphe à ce concert-spectacle qu'on écoute aussi avec les yeux. Bravo Mathilde pour la signature vocale, Maylis Balyan pour la signature chansigne LSF, Colombe Barsacq pour la signature en scène (et les ballons pleins de bonnes vibrations), Vladimir Medail pour la signature musicale (la Gibson demi-caisse est une perle sous vos doigts) et Sylvia Roux et son équipe qui les signe tous le samedi à 17 heures. # écrit le 11/10/17
L'avocat élève la voix, off, dans le théâtre encore éclairé. Il conseille à son client de plaider coupable pour sauver sa tête. L'accusé se rebelle : que veut dire la perpétuité quand on a toute la vie ? Le verdict tombe. Une nouvelle vie commence, terrible, jusqu'à la peine annoncée. À la fin du spectacle, le condamné gît au sol. Un autre avocat élève la voix. Nous sommes le 17 septembre 1981. Maître Badinter demande à l'Assemblée Nationale l'abolition de la peine de mort en France. Entre les deux, le héros de Hugo vit devant nous la lente agonie de tout espoir en lui. Son propre deuil et celui des siens avant même que d'être mort. La mise en scène de François Bourcier ouvre le texte de Hugo et la cellule du condamné au public pour un huis-clos proche et intense. Le dialogue intérieur du héros adapté par David Lesné affûte celui de nos âmes avec celle du condamné : que sont nos angoisses face à la panique d'une mort annoncée ? William Mesguich excelle à partager le vertige et la pesanteur d'un fil tendu vers le couperet final. Avec d'infinies nuances, nous voyons son âme se vider de sa substance jusqu'à devenir le pâle reflet d'un être absent à lui-même et retiré au monde. Comment vivre ce châtiment d'un homme par les autres hommes quand on a une mère, une femme, une fille de 3 ans ? Comment ne pas juger la barbarie de tous quand on a soi-même jugé la sienne ? Le miroir nous est tendu. Il faut voir et entendre cette pièce, capitale. # écrit le 11/10/17
Solène Rossignol dans Ventre
Du charbon dans les veines