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Théâtre Contemporain: Le Puits – Conte cruel

-Merveilleux
10/10

Je me lasse vite, très vite : une fois, c'est presque trop. Et j'ai déjà vu ce spectacle. Pourtant, j'y suis retourné ce soir : je suis retourné au théâtre des Déchargeurs voir Isabelle Degraeve et Sylvie Borten interpréter " Le puits, conte cruel ". En quelque sorte, j'ai revu le spectacle pour la première fois. Avec des yeux d'enfant, j'ai vu ces deux actrices enivrantes – parfois miellées (et mielleuses), parfois épicées (et relevées), bacchantes ressemblant en tout point aux vins capiteux de l'antiquité – se glisser dans la peau des femmes de Troie. Elles hantent ces femmes comme l'esprit du puits : les enfants, les jeunes filles et les vieilles marâtres, toutes les femmes sont représentées, même les reines. C'est ainsi qu'elles visitent, pudiques et sensibles, les ruines nostalgiques d'Ilion. Pourtant, elles auraient pu faire une entrée fracassante dans l'héroïque péplum, marcher à pas de colosse sur la légende, lever un poing épique, viril et menaçant, et brandir le glaive d'airain à la pointe duquel Homère écrivit ses romans ; elles ont préféré aborder la guerre d'une plus délicate – mais toute aussi cruelle – manière. L'histoire est d'une rare violence, animée par une folie furieuse : les membres sont tranchés, les têtes tombent, sanglantes, soulevant la poussière, les corps sont impitoyablement transpercés ; l'ennemi ignore l'existence du mot " pitié " (et qu'est-ce pour lui que le pardon ?) ; on crie, on pleure, on sonne de la trompe. Mais nul se bat. Pas sur scène, en tout cas. L'homme se bat au loin, par-delà les remparts. Pendant ce temps, à l'intérieur des murs, la femme participe à l'effort de guerre. Elle lutte, elle aussi et, bien souvent, cette lutte est intérieure. La femme a au moins la parole (c'est déjà ça) – et quelle parole ! Prose poétique, vers, récitation : nos deux sibylles montent sur les planches et nous parlent. Que nous disent-elles ? Contre toute attente, elles préfèrent nous parler du passé que de l'avenir. Le jeu se fait voix, le spectacle se fait oracle : c'est un peu comme si les gestes en disaient moins long que les mots... Les Troyennes ont la parole et elles en profitent. Elles parlent, nous parlent. Mais elles discutent aussi : elles se racontent leur vie de tous les jours, une vie rythmée par la mort. Tout cela est raffiné et beau, incisif et pénétrant, triste et drôle, infiniment juste. A redécouvrir autant de fois que possible !
# écrit le 28/09/10




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