Seul en scène Julien Boisselier déploie une fois de plus son talent exceptionnel dans ce texte taillé sur mesure par Mélissa Drigeard & Vincent Juillet dont l'écriture s'était déjà révélée dans leurs précédentes pièces (" Les 4 Deneuve ", " Psycholove ", " Même si tu m'aimes "). Une écriture précise, juste, drôle, intelligente, toujours sur le fil, en déséquilibre. C'est un homme en rupture qui est ici mis en scène, en rupture de lui-même et des autres. Chef cuisinier, devenu " star " (dont on multiplierait à l'infini les guillemets) du petit écran. Après 25 ans, et des milliers d'émissions, il prépare un show spécial en direct pour fêter son jubilé. C'est l'occasion pour lui d'une remise en cause profonde de son parcours, de ses choix, des chemins qu'il a pris ou plutôt de ceux qu'ils n'a pas pris ou qu'il aurait pu prendre ; écrasé par l'image d'un père dont il a suivi la trace (et qui, d'une certaine manière, est, lui aussi, présent sur scène), broyé par l'illusion de la surpuissance de la société des spectacles, l'on assiste à la chute d'un homme seul - au faîte d'une petite gloire - à son incapacité à vivre, à son inaptitude à être véritablement au monde, toujours porté par ses rêves d'enfants, de chef indien devenu (par devoir ?) chef cuisinier. Le dispositif est brillant : des images projetés de Karim Adda viennent ponctuer la mise en scène, une oreillette et la douce voix d'une assistante de production résonne comme un voix intérieure ou des injonctions d'une force supérieure. On pense à l'inoubliable " Tandem " de Patrice Lecomte, à " The King of Comedy " de Scorsese, évidemment à " The Truman Show " de Peter Weir et aux personnages à la dérive de Cassavetes. On assiste au déraillement de cet homme, comme celui d'un train qui quitte le ballast en pleine vitesse. La structure est éblouissante, et la fin bouleversante de poésie et de justesse. C'est chaotique, fragile, drôle, absurde comme la vie. On n'en sort pas indemne, mais n'est-ce pas cela au fond que l'on attend d'une pièce de théâtre ? De ne pas en sortir indemne, car " 12 millimètres " nous parle de nous. Rien que pour cela, et aussi pour cela il faut courir au théâtre de l'Oeuvre. Marc-Olivier Deblanc # écrit le 02/06/17