mj.pradez

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Musées / Expos: Figures de Théâtre

-L'Oeil et le Talent : Portraits immortels.
Figures de Théâtre : Laurencine Lot L'Oeil et le Talent : Portraits immortels. Dorothy's Gallery, Sa Directrice, ses collaborateurs et collaboratrices ainsi que l'adorable petit Bull Terrier américain, nous offrent encore de très jolis moments quand ils ne sont pas grands. Accueil parfait, chaleur et attention, et belles propositions, dans la continuité, dans ce quartier de la Bastille très animé et chargé à jamais. Pour peu,on entendrait les sans-culottes déchaînés à la conquête, sans le savoir exactement, de la Démocratie. Et l'on voit le résultat heureux de leurs luttes. Dans cette petite Galerie, fraternisent la grande Amérique, avec ses débats, ses musiciens pleins d'audace et de forces, sa vitalité et ses contradictions engendrant la marche dialectique de l'Histoire et la millénaire et somptueuse Asie. Enrichie de ses crises et ses tragédies les plus fortes, Hiroshima en tête, elle trouve en elle la force des renaissances, tel le Butô, cri majeur nouant tradition et modernité, beauté des corps et des expressions et effroi et révolte, reptation et élévation. S'y joint L'Europe, associée, avec son théâtre, du plus léger au plus intense. Les arts se croisent, jouent ensemble. Et Laurencine Lot enchante par ses photographies. Série magistrale avec son travail sur Carlotta Ikeda. Rencontre fasteuse de la Danse poussée à la perfection et l'Oeil captant, dans la lumière ou la nuit, la gravité des gestes, l'espace où le corps délié devient, dans ses torsions et ses déchirements, le porteur de la grâce. Laurencine Lot garde le cap de l'exigence et de la Beauté au travers de ses nouveaux portraits de Comédiens. Grâce à elle, la mort est comme vaincue. Marie Casarès est là, dans son énergie, son éclat, sa joie ou ses douleurs. Le Temps passe. Par lui et sa Vie sculptée, l'Actrice est constamment belle. Tricherie absente. Aura de Laurent Terzieff, lignes pures, visage doux, beauté divine, regard profond, poésie et nostalgie, traits et âme superbes, intégrité. Ni inflation du moi, ni arrogance. La rectitude de tout. Michel Bouquet, l'intelligence, la compréhension et l'interprétation du rôle sans décalage ni fausse note. Rien de surfait, de surjoué. Justesse et finesse. Les personnages deviennent vivants tellement la saisie de l'instant est performante. Textes, voix des auteurs et des interprètent se rappellent à la mémoire de ceux, privilégiés, qui ont été honorés de les entendre, de les applaudir, remués au plus profond d'eux-mêmes. Les photographies de Laurence Lot sont pareilles, avec les moyens de la photographie et non de la Peinture, à des tableaux de grande esthétique et de force offerte, née du talent de tous. Auteurs, interprètes, costumières, régisseurs, photographe construisent ainsi un de ces sublimes héritages. Femmes ou hommes y deviennent des reines et des rois, des archétypes, des allégories, des porteurs de valeurs, les miroirs de nos contradictions et de nos aspirations. L'Aventure y est, pour notre joie, collective, contrairement à celle du Peintre, condamnée par la nature de son Oeuvre à un chemin plus solitaire, mais pour une même quête de Beauté, d'harmonie. Merci à la Dorothy's Gallery, à Dorothy Polley, comme à tous ceux qui concourent à ses moments si réussis. Adresse à garder, programmation à suivre. Ce texte aussi en hommage au Peintre René Pradez qui connaissait bien Monique Dorcel et Charles Gonzalès qui auraient eu plaisir à les entendre ainsi que les textes de Joyce qu'il avait tant lus. Peintre et Premier Prix d'Art dramatique, en 1958, entre autres, dans sa jeunesse à Liège. Les hommes disparaissent mais les Oeuvres les immortalisent. marie-josé pradez
# écrit le 11/11/13


Théâtre classique: Misérables

- Hugo ou la vision de l'Aigle...
9/10

Après s'être attaqués à La Recherche dans Délivrez Proust !, Philippe Honoré et Philippe Person adaptent le chef-d'oeuvre de Victor Hugo au théâtre. Eternel retour du même. Jamais loin de nous, Les Misérables, voire en nous. Et Hugo incroyablement actuel par l'acuité de son regard, son émotion littéraire, son écriture épique, soufrée, palpitante. Pas de rédemption pour tous les Thénardier du monde qui, dans leurs griffes, tiennent les désarrois de l'enfance, sans se sentir monstrueux, sous les gifles, les coups, la maltraitance. Exilées du bonheur, combien de Fantine prises dans l'exploitation du grand capital, exclues du travail vendant leur vie et leurs corps usés, capturés, sacrifiés pour protéger, le plus possible et autant que faire se peut, le fruit de leurs amours ? Combien d'enfants jolis comme des coeurs idéalement promis à la joie, l'éducation, la liberté portent des seaux si lourds dans le noir sous les brimades et les blessures ? Combien de Javert obsédés par la traque d'un voleur de rien, un ou deux sous au départ, faisant de leur quête affolante et rigoriste jusqu'à la pathologie, leur anti-destin sous les traits de quelques petits juges ou policiers ambigus et tenaces comme le pervers Max, dans Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet, si remarquablement interprété par Michel Piccoli face à Romy Schneider. Pas question de lâcher sa proie sauf suicide par déshonneur ou stratégie du désastre. Le roman de Hugo qui stigmatise l'injustice et l'écrasement des pauvres, position politique définitive de l'écrivain, repris par la troupe de Philippe Person, condense sur un rythme endiablé l'oeuvre monumentale. Intelligence scénographique des tableaux successifs fort bien enchaînés faits des grands épisodes des Misérables. Originalité de la mise en scène respectueuse de l'intention profonde de l'écrivain en faveur de l'opprimé optant pour la fantaisie de manière inattendue. Excellente façon d'appréhender le texte pour qui lire est un déplaisir, un Himalaya dont on ne sait par où commencer l'ascension. Un spectacle très vivant, visuel. Défile perchée sur tréteaux la critique, péremptoire, affirmant ses points de vue contradictoires, son hostilité au rebelle humaniste qu'est Hugo, inscrite dans un présent borné. Donnés au regard, l'usine, la rue, les barricades des bords de Seine, l'atmosphère de la forêt sombre et terrifiante où Cosette marche dans son immense solitude ployée sous le fardeau. Là, l'univers du cabaret digne des tableaux de Toulouse-Lautrec. Là où partout se jouent les conflits et l'espérance de vivre. Les traits sont grossis mais le fond passe. En somme un fort intéressant travail des trois acteurs qui, dans ces tableaux composés, sous présence de la géniale sculpture en fer évoquant Javert, ne cessent de se métamorphoser. Toujours du rythme et ainsi de parcourir, à grands traits expressifs, par un changement fulgurant de costumes, de têtes et de rôles, les personnages de la fresque hugolienne signifiés par quelques attributs, présents comme d'un coup de baguette magique, dans leur confrontation avec le mal, le salut et l'amour. Eternelle histoire du combat du Démon et de l'Ange, du Bien contre le Mal, de David contre Goliath ? Le public rit aux facéties et aux mimiques hilarantes d'Emmanuel Barrouyer, acteur tout en jambes, à la souplesse d'un contorsionniste, au visage enfantin et malicieux, qui nous livre, encore une fois, après L'Ecossaise, un festival de drôleries. Chez lui, tout est rapide, vif, incisif, burlesque. Tout à la fois Tintin, Valentin Le Désossé et Jerry Lewis. Irrésistible par ses mots, ses mimiques, ses sauts, ses enjambements, genoux et coudes à l'équerre, ses arrêts dans l'élan et reprises à pleine vitesse. Précision des arts martiaux au service de la comédie ! Fluidité, élasticité, jeu jubilatoire décalé. Humour, clins d'oeil et charge comique. A ses côtés ne démérite pas Anne Priol dont on découvre la gouaille, l'art du chant, l'aisance de meneuse de revue et l'interprétation sensible de Gavroche. Vive, naturelle, enjouée, alerte, pimpante, elle participe largement au tempo et l'éclat du spectacle. Philippe Person, outre son talent de metteur en scène, apporte par dessus tout l'expression d'une vraie bonté et une humanité conformes à celles de Jean Valjean qu'il incarne au plaisir de tous. Apprendre à apprendre ? Pour qui lire est un déplaisir, un secret, une clef ? Prendre un chemin buissonnier, se rapprocher de ces comédiens pleins, inspirés et enthousiastes, de leur folie folle nourrie de jeunesse et de raison apte à rendre proche et vivant un grand texte souvent empoussiéré par l'Ecole. Impressionnante, intimidante par son ampleur et la variétés de ses projets, l'oeuvre ouvre alors à tous l'accès à sa richesse. Adhésion générale par le rire, la tendresse, la révolte à cette adaptation libre rejoignant les interprétations au cinéma des Baur, Ventura, Depardieu, Bouquet, Malkovich, magistraux. Mis à jour le 09/12/2009 Eternel retour du même. Jamais loin de nous, Les Misérables, voire en nous. Et Hugo incroyablement actuel par l'acuité de son regard, son émotion littéraire, son écriture épique, soufrée, palpitante. Pas de rédemption pour tous les Thénardier du monde qui, dans leurs griffes, tiennent les désarrois de l'enfance, sans se sentir monstrueux, sous les gifles, les coups, la maltraitance. Exilées du bonheur, combien de Fantine prises dans l'exploitation du grand capital, exclues du travail vendant leur vie et leurs corps usés, capturés, sacrifiés pour protéger, le plus possible et autant que faire se peut, le fruit de leurs amours ? Combien d'enfants jolis comme des coeurs idéalement promis à la joie, l'éducation, la liberté portent des seaux si lourds dans le noir sous les brimades et les blessures ? Combien de Javert obsédés par la traque d'un voleur de rien, un ou deux sous au départ, faisant de leur quête affolante et rigoriste jusqu'à la pathologie, leur anti-destin sous les traits de quelques petits juges ou policiers ambigus et tenaces comme le pervers Max, dans Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet, si remarquablement interprété par Michel Piccoli face à Romy Schneider. Pas question de lâcher sa proie sauf suicide par déshonneur ou stratégie du désastre. Le roman de Hugo qui stigmatise l'injustice et l'écrasement des pauvres, position politique définitive de l'écrivain, repris par la troupe de Philippe Person, condense sur un rythme endiablé l'oeuvre monumentale. Intelligence scénographique des tableaux successifs fort bien enchaînés faits des grands épisodes des Misérables. Originalité de la mise en scène respectueuse de l'intention profonde de l'écrivain en faveur de l'opprimé optant pour la fantaisie de manière inattendue. Excellente façon d'appréhender le texte pour qui lire est un déplaisir, un Himalaya dont on ne sait par où commencer l'ascension. Un spectacle très vivant, visuel. Défile perchée sur tréteaux la critique, péremptoire, affirmant ses points de vue contradictoires, son hostilité au rebelle humaniste qu'est Hugo, inscrite dans un présent borné. Donnés au regard, l'usine, la rue, les barricades des bords de Seine, l'atmosphère de la forêt sombre et terrifiante où Cosette marche dans son immense solitude ployée sous le fardeau. Là, l'univers du cabaret digne des tableaux de Toulouse-Lautrec. Là où partout se jouent les conflits et l'espérance de vivre. Les traits sont grossis mais le fond passe. En somme un fort intéressant travail des trois acteurs qui, dans ces tableaux composés, sous présence de la géniale sculpture en fer évoquant Javert, ne cessent de se métamorphoser. Toujours du rythme et ainsi de parcourir, à grands traits expressifs, par un changement fulgurant de costumes, de têtes et de rôles, les personnages de la fresque hugolienne signifiés par quelques attributs, présents comme d'un coup de baguette magique, dans leur confrontation avec le mal, le salut et l'amour. Eternelle histoire du combat du Démon et de l'Ange, du Bien contre le Mal, de David contre Goliath ? Le public rit aux facéties et aux mimiques hilarantes d'Emmanuel Barrouyer, acteur tout en jambes, à la souplesse d'un contorsionniste, au visage enfantin et malicieux, qui nous livre, encore une fois, après L'Ecossaise, un festival de drôleries. Chez lui, tout est rapide, vif, incisif, burlesque. Tout à la fois Tintin, Valentin Le Désossé et Jerry Lewis. Irrésistible par ses mots, ses mimiques, ses sauts, ses enjambements, genoux et coudes à l'équerre, ses arrêts dans l'élan et reprises à pleine vitesse. Précision des arts martiaux au service de la comédie ! Fluidité, élasticité, jeu jubilatoire décalé. Humour, clins d'oeil et charge comique. A ses côtés ne démérite pas Anne Priol dont on découvre la gouaille, l'art du chant, l'aisance de meneuse de revue et l'interprétation sensible de Gavroche. Vive, naturelle, enjouée, alerte, pimpante, elle participe largement au tempo et l'éclat du spectacle. Philippe Person, outre son talent de metteur en scène, apporte par dessus tout l'expression d'une vraie bonté et une humanité conformes à celles de Jean Valjean qu'il incarne au plaisir de tous. Apprendre à apprendre ? Pour qui lire est un déplaisir, un secret, une clef ? Prendre un chemin buissonnier, se rapprocher de ces comédiens pleins, inspirés et enthousiastes, de leur folie folle nourrie de jeunesse et de raison apte à rendre proche et vivant un grand texte souvent empoussiéré par l'Ecole. Impressionnante, intimidante par son ampleur et la variétés de ses projets, l'oeuvre ouvre alors à tous l'accès à sa richesse. Adhésion générale par le rire, la tendresse, la révolte à cette adaptation libre rejoignant les interprétations au cinéma des Baur, Ventura, Depardieu, Bouquet, Malkovich, magistraux. Marie-José Pradez, 09/12/2009
# écrit le 06/01/10


Théâtre contemporain: Camille Claudel 1864 - 1943

-Bon plan pour l'épreuve anticipée de français, des mises en scènes à comparer entre autres...
9/10

" Début un peu poussif " lit-on dans L'Humanité, Nul ressenti pour ma part de ce genre. Faudrait-il donc que la pièce de Christine Farré commence comme un James Bond pour les amoureux d'action plutôt que par l'intelligente et utile présentation des critiques, marchands et écrivains qui entourent l'artiste sculpteur ? Saluant sans doute la création de Charles Gonzalès du 10 septembre 2001, au Théâtre de L'Imprimerie, Charles Gonzalès devient Camille Claudel, jouée ensuite longuement au Lucernaire avec un réel succès, aujourd'hui aux Mathurins, reprenant en ouverture de sa mise en scène le principe de la voix off, cette fois féminine et la première moitié de la lettre de 1913 de Camille Claudel à Mademoiselle Vertus, " Vous avez sans doute déjà entendu parler de mes aventures funambulesques et ce qui s'en est suivi...Pour terminer j'ai été enlevée par un cyclone, moi et mon atelier... ", comme tous les alpinistes qui ont tenté un sommet, Christine Farré se porte à l'assaut d'une nécessaire réhabilitation d'un destin de grande envergure piétiné. Avec sincérité, honnêteté et tendresse. Comme en musique, nouvelle variation, une autre pièce, une autre manière de toucher le public présent. Monet dans son travail sériel sur les cathédrales de Rouen n'approfondissait-il pas à l'infini en quête de l'incarnation de nouvelles sensations ? Camille Claudel a suffisamment été niée de son vivant pour qu'aujourd'hui les barrages bien fondés autorisent une ouverture et une distribution des récompenses posthumes qui ne gênent plus personne, voire favorise une installation progressive à l'intérieur des structures marchandes. Christine Farré, Ivana Coppola et les bons acteurs qui l'accompagnent, inspirés d'évoquer Camille, permettent qu'on remette les pendules à l'heure non par des discours militants ou moralisateurs mais par les ressources magiques du théâtre. Dans ce contact si intime avec le public, l'émotion bouscule de vieux schémas, les représentations simplistes véhiculées avec opiniâtreté par le sens commun, les feuilletons peu profonds et bâclés, certaines institutions reproduisant des poncifs, un discours consensuel notamment autour de l'artiste fou et génial... Christine Farré, condensant dans un espace et une chronologie accélérée les différentes périodes de cette vie morcelée, refusée, anachronique, anéantie, pose les questions majeures, plus que jamais actuelles, des conditions de vie de l'artiste, de l'élaboration d'une oeuvre qui anticipe les normes du moment, se heurtant de fait à tous les verrous existants en pareille circonstance. Quelle récupération alors le plus souvent que la vision plate d'un romantisme mal compris ? Ivana Coppola, par son art de la métamorphose, vieillissant de manière sidérante sous la souffrance et l'abandon, par son sens tragique, son énergie juste et la compréhension fine des lettres de l'artiste, sidère les spectateurs. Très mobile, énergique, volcanique et investie, elle bouleverse en incarnant l'épuisement de Camille face aux blocages que produisent le manque d'argent et les conditions de plus en plus difficiles. Coût de la pierre, de l'onyx et du marbre, du plâtre, des fondeurs, commandes payées en retard, oboles épisodiques du frère pourtant diplomate et heureux propriétaire du château de Brangues, la correspondance de Mirbeau ou de Morhardt choisie avec efficacité conduit à y penser, surtout si vivant soi-même dans le confort d'une paisible vie bordée de bons garde-fous ? Christine Farré aide à mettre en résonance ce destin avec celui de Van Gogh, autre Suicidé de la Société incapable de travailler sans l'aide spirituellement intéressé, aussi, de son propre frère qui, bien que vendeur chez GoupiL, n'a vendu qu'un seul tableau de Vincent de toute sa vie. N'y a-t-il pas là matière à s'interroger sur cette dépendance et sur la pauvreté dans lesquelles ces deux artistes sont solidement maintenus par leurs proches, eux véritables démiurges qui feront, une fois morts, travailler tant de générations de gens et de corps de métiers, fonctionnaires, universitaires, conservateurs... ? Malgré sa jeunesse, avec poids, Ivana Coppola convainc en portant avec force et conviction ce scandale renforcé par le douloureux problème de la reconnaissance. Hostilités occultes ou déclarées. L'amour, né de la passion artistique, d'abord élan, jouissance, caresses évoqués joliment par la belle virilité d'Enrico di Giovanni, s'effrite et résiste mal aux promesses du quotidien, aux choix qui amènent à sortir des catégories banales. Rodin radicalement du côté du pouvoir ? Les femmes, les marchands, quelles aides jusqu'où réellement désintéressées ? La famille, la mère, Paul et son sens des honneurs, son lyrisme et son sens du péché ? Quelles aides réellement régulières et effectives ? Plutôt quels désirs de mort nichés dans quelles frustrations obscures ? La société, quelle promotion de cette artiste singulière craignant sa marginalité ? Pour tremplin à la promotion de son Œuvre, la marginalisation volontaire et involontaire ? Mort à celui ou celle qui, au sein de la société et de ses valeurs convenues ose se décaler, par refus ou incapacité naturelle à entrer dans la case proposée de la banalité. Avant-garde dérangeante. Et à lire Le Chef d'Oeuvre inconnu et Pierre Grassou de Balzac, l'on mesure, Frenhofer en opposition à Pierre Grassou, tout l'écart qu'il y a entre la gloire apportée par la société consommatrice d'oeuvres dérangeantes, immédiatement assimilables, par opposition au rejet et l'incompréhension face à la rareté d'une oeuvre élaborée dans le silence, la patience, la soif du style et l'insatisfaction permanente inhérente à toute trajectoire artistique authentique. Enfin Camille est folle, et voilà le talent !!! C'est bien là son moindre défaut !!! " Ode à la folie " lit-on ! " La folie créatrice.... " Ah ! qu'il est bon d'être fou, en hôpital psychiatrique, en exil alors qu'on écrit une correspondance comme personne où l'esprit et la lucidité sont présents à chaque ligne ! " Il avait le vice des intellectuels, il était futile " écrivait Céline. Ivana Coppola s'approche un peu de la souffrance psychique, de cette mise en danger de soi placé peu à peu par la solitude " au-dessus du volcan ". La comédienne se transcende alors en exprimant sans avarice, le progressif enfermement de Camille dans son soliloque, sa colère, ses contestations, les pleurs, la perte des repères... Qui tend la main, achète une oeuvre, se déplace dans l'atelier ? Qui, à celle en crise, affaiblie physiquement et psychiquement, apporte l'accompagnement qui oxygène à nouveau ? Qui de la mère, qui de Paul ? Ensuite l'enfermement car folle ? Pour trente ans et jusqu'à la fin, morte de faim à Montdevergues ? Rachitique. Paul, pieux chrétien, grossit et reste sourd aux appels de sa soeur, " Il faut l'enfermer " dit Créon à propos d'Antigone ? Destin similaire. Ivana Coppala, bien dirigée et soutenue par les comédiens qui l'aident à exalter le désespoir, offre le jeu d'une très belle comédienne. Point d'orgue quand se couchant ultimement, le visage vieilli mais encore admirablement beau, les traits tirés, elle serre le coeur de tous, tendant en ultime offrande le pathétique de ce petit corps enfin vaincu posé sur son lit de mort et les remerciements à sa mère qui lui a permis une si belle vie. Christine Farré et ses comédiens touchent aux entrailles le public qui remplit la salle, plus ouvert sans doute à se demander s'il ne passerait pas lui aussi à côté d'un Van Gogh, d'une Camille Claudel, car de lui-même il ne saurait pas voir une oeuvre immense en gestation et réalisation tant que la société ne lui aurait pas donné le feu vert pour regarder, admirer, s'approcher avec étonnement ? Merci par-dessus tout à Reine-Marie Paris qui, jeune, avec une étonnante vitalité et une autonomie de jugement, s'est scandalisée de l'abandon dans une cave des oeuvres de Camille, comme de vieilles bouteilles et qui a entrepris par un catalogue raisonné devenu référence de promouvoir l'oeuvre de sa grand-tante. Remerciements à tous ceux qui, d'une manière ou l'autre, aident les artistes authentiques, d'hier, et d'aujourd'hui car ils existent, en parlant de leur travail, n'en restant pas à des promesses et des éloges sans lendemain, une suspicion, une incrédulité face à l'artiste et son oeuvre pas encore reconnus, une ordinaire indifférence, au mieux quand ce ne sont pas... des indélicatesses... Marie-José Pradez
# écrit le 16/05/08


Théâtre contemporain: C'était moi

-Allegro pour le néant !
10/10

Mona est une belle femme. Une distinction, une éducation, une aisance financière. De bonnes dispositions pour le bonheur ? On pourrait le croire ! Rien de tel ! Mona est marquée par le sceau du malheur : cette incapacité imposée par le destin de ne pouvoir remonter de " l'expérience des gouffres " selon Fondane évoquant Baudelaire ou selon Lowry celle qui place l'homme " Au-dessus du volcan ". L'alcool ! Etrange fascination qui pousse Mona, comme elle dit, " à travailler " à partir de six heures du soir ! Ne plus la déranger !!! Chaque soir, dans un rituel mortifère, elle se défait, se découd, rejoint sa volonté d'anéantissement, d'oubli d'elle-même, de quelque chose de terrifiant sans doute. Quel passé, quelles ruptures, quels chemins mal pris, quels murs rencontrés infranchissables, quelles blessures ouvertes à tout jamais,inguérissables ? La famille ? La soeur ? Mathilde, la cadette, jalouse et envieuse depuis l'enfance, petite boulotte caricaturale et ridicule, attifée et formatée au moule de la bourgeoisie dont elle ne capte que le formalisme le plus vulgaire, grimée, enlaidie de bijoux et breloques de luxe, de vison et de tailleurs soulignant la vulgarité de ses choix, n‘est pas pour l'aider. Jalousie tenace de cette petite femme un peu porcine, à la marche sans grâce ni fluidité ! Un petit pot sur ressort, roquette comme pas une ! Alors ? Rien d'autre ? Si pourtant ! Mona peut plaire encore aux hommes. L'un d'eux est touché par elle et a envie d'aimer ! Il n'est pas merveilleusement beau mais il a un charme et une de ces voix qui, à l'entendre, émeut, rapproche, apprivoise doucement. Alors Mona, découverte dans son mal, non jugée, respectée, tente de revivre en acceptant la tendresse offerte et la promesse de nouveaux matins... Mais les pentes prises ne sont pas faciles à remonter et si bon grimpeur on a réussi finalement à accrocher une main pour sortir du trou, il n'est pas certain que le sol lui ne se dérobe pas... Dernière messe avec l'ennemie et ses démons, ultime liturgie noire où la mélancolie fait chavirer, s'enfoncer, disparaître... Entropie... Oh les beaux jours ...Et après... tourner le dos au passé ! Tout jeté ? Oui ! Ramasser tous les cadavres de bouteilles et en finir une bonne fois en les jetant, et avec eux un mauvais passé ? Naturellement ! Mais comme dans les plus extraordinaires pièces de l'Antiquité grecque, l'ironie tragique se joue de l'homme ou de la femme. Le héros ne peut sortir du cercle, comme le taureau dans l'arène, que par le sacrifice de sa mort ! Mona prend sa voiture... Noir de fin ! Cette pièce qui aborde un sujet en vérité lourd, voire encore tabou, l'alcoolisme des femmes,offre un tour de force et une suprême élégance. Jean Bois dont on est plus que content du retour par sa qualité d'homme, d'écrivain, d'acteur et de metteur en scène, traite de manière très italienne ce sujet terrible. Le texte pétille d'intelligence, virevolte, est léger, rebondissant. Il y a dans le scénario quelque chose qui rappelle ce film extraordinaire de 1950 Quand la ville dort, The Asphalt Jungle de John Huston avec Sterling Hayden. Le héros croit qu'il peut se tirer, lui, d'un cambriolage et remonter vers le temps où il vivait dans la nature, ses parents étant fermiers. Espérance d'effacer les erreurs et les drames, venus d'un mauvais cauchemar mais retour vers sa mort, inéluctable, si prêt pourtant de réussir. Pour d'autres raisons mais pareille à lui, Mona ne peut sortir de son enfer. Mais Jean Bois visiblement se refuse de créer une pièce sombre et lourde. Le texte bien écrit est tantôt gai, tantôt humoristiques, un peu acide, nostalgique, pétillant, tendre... Y fusent l'humour et l'esprit. Les comédiens sont drôles, très en rythme, occupent la scène et par l'intelligence des répliques, le grotesque, le sens de l'esquisse, du décalage, des raccourcis, des glissements de plans et de registres, le public partage ce feu d'artifice de bons mots, de phrases ciselées et jubilatoires, capables de parler du pire avec une légèreté profonde. Un moment à ne pas manquer fait de fantaisie, d'invention pour conjurer ce qu'est pour beaucoup un drame quotidien, un filet où l'on se retrouve parfois comme le puceron ou le papillon pris dans la toile et dévoré par l'araignée. Les comédiennes et les comédiens sont superbes, chacun dans sa dimension, et tous ensemble portent à la compassion Marie-José Pradez (La Théâtrothèque)
# écrit le 29/01/08


Théâtre contemporain: Les Tolstoï, journal intime

-"...dans vos yeux profonds comme les mers."
10/10

" On my way to the place where I wished to be alone, I was taken ill." Faut-il voir dans cette unique et ultime phrase de la correspondance de Tolstoi du 3 novembre 1910, adressée comme dans un souffle à son ami et traducteur anglais Aylmer Maude, la prescience de sa mort prochaine, seule responsable de la fin du voyage ? Faut-il plus encore y lire le résumé de l'ensemble de son parcours vécu comme une découverte permanente vers les plus touchantes et mystérieuses voies de l'Amour, voies complexes et imprévisibles vers une vision plus vaste qui, pour s'accoucher et s'incarner, passe de crise en crise, de dépossession d'illusion et de soi-même jusqu'à y perdre forces et santé ? Enfin, ce ‘‘ J'aime " prononcé comme dernier mot, ultime révélation, ne dit-il pas tout de cet homme de la démesure, à qui Gandhi n'a pas écrit par hasard, reconnaissant en lui un être de même combat, que nous présente avec intelligence et sensibilité le metteur en scène Jean-Denis Monory, sous sans nul doute l'aura bienveillante de Bip, Le Mime Marceau qui continue de vivre dans nos coeurs par le souvenir de sa légèreté, sa délicatesse, sa lumière ? Le public a défié les grèves et les embouteillages ; il est là car de bouche-à-oreille l'on a parlé de ces Tolstoï et de leur vie circonscrite dans leurs Journaux intimes la presse, des écrits sélectionnés et montés avec intelligence, sans lourdeur par Alexandra Devon. Pas de suffocation. Des moments scéniquement rendus très visuels par un décor extrêmement simple mais mobile et les lumières adaptées à la dramaturgie des situations. Une ligne chronologique simple et claire ; une pièce construite en deux parties, l'une tournée vers la démesure heureuse, l'autre vers l'approfondissement douloureux des paradoxes de la vie où les choses, les relations à l'Autre, aux Autres, sur le fond des remous de l'histoire, s'opacifient, se complexifient pour porter autrement le désir, plus loin et ailleurs. Le texte se densifie, la spiritualité s'y impose. C'est d'abord la rencontre avec Sonia, petite oiselle à la fois naïve, originale, profonde et légère, prise dans les filets de l'enthousiasme, servant d'aiguillon à la créativité de ce monstre d'écriture. Sonia, c'est la rupture avec la solitude, le célibat, c'est le corps, d'abord jeune et vif, menant à l'exaltation de l'âme, l'adhésion totale à sa démesure sexuelle capable de combler les forces chtoniennes de la naturalité. Treize ou quatorze enfants, et toujours une immense énergie malgré les deuils, les retournement de l'histoire. Sonia, c'est l'âme de la maison, qui organise, éduque, maintient le cap des choses matérielles, permettant tout un temps au génie créatif de s'exprimer en se dégageant des contraintes dans un accord presque naturel. Sonia écrit aussi, tient sa correspondance, veille sur la propriété, la tenue des droits d'auteur, ces obligations administratives auxquelles souvent le créateur se refuse par inadaptabilité et ennui. C'est avec une énergie folle qu'Iris Aguettant réussit à camper ce personnage dans un abattage étonnant, se glissant avec aisance dans ses désirs à elle, ses envies, sa manière de poser sa vie en face d'un monument d'esprit, Didier Douet devenu Tolstoï, grand, impressionnant, débordant d'abord de vitalité, de sensualité, de complicité. Un partenaire idéal ! Les lumières sont les lumières de la vie et la chambre et le bureau, les lieux évoqués par quelques éléments de décors suffisants. C'est ensuite insidieusement ces chemins de vie qui se séparent tout en s'entrecroisant car l'appel de l'un n'est pas celui de l'autre. Sophie veut vivre dans la société, dans le monde, dans les lumières et les miroirs factices. Les grandes villes lui paraissent plus aptes à favoriser son bonheur, des rencontres. Eternelles foires aux illusions, mais chez elle pas d'illusions perdues ; elles se renforcent au contraire tandis que Tolstoï connaît les enjeux de ces mécanismes et se sent ailleurs ; distance à l'égard de la propriété, fraternité avec les damnés de la terre, les asservis dont il veut la libération et l'éducation, le partage, l'allégement des biens matériels ouvrant des chemins supérieurs. Le temps n'est plus aux rires, les malentendus, les ressentiments, les jalousies, la maladie, et l'angoisse de la mort usent l'amour, le déportent. La création d'abord enthousiasmante, tonifiante impose enfin ses lois cruelles et malgré même le succès, la ferveur de l'un et de l'autre s'est vidée. Les regards, les désirs ne parviennent plus à regarder dans le même sens et l'on se fuie. Quatre-vingt-deux ans et le départ pour rejoindre une soeur, sans le dire à Sonia ; mais c'est dans la petite gare d'Astapovo que se termine le voyage, par une force, peut-être divine, qui prononce l'arrêt. " On my way ", l'a-t-il jamais quitté, s'est-il jamais égaré ? Ce que les créateurs de cette trempe possèdent, c'est bien le sens de la trace ; s'ils rencontrent des hommes, les événements de l'histoire, ils en font le grain pour moudre leur vie et construire leur château intérieur et leur Oeuvre. Celui de Tolstoï était tout ouvert à l'Amour. C'est à cette quête de vérité et du Bien que les deux comédiens nous invitent, incarnant avec conviction ce couple peu banal, réussissant à nous rapprocher de l'idée de leur démesure. Les sentiments, les émotions, les colères, les détachements offerts au public, bref la vie, assonent avec nos propres vies ou nos curiosités nos craintes et nos espérances. Saurons-nous dire avec Du Bellay : " Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage " ? ou plutôt avec Saint Thomas d'Aquin : " Je T'adore avec dévotion, Vérité cachée, / Tu es vraiment là, cachée sous ces apparences / A Toi mon coeur tout entier se soumet / Car en Te contemplant tout entier il défaille... " Adoro " Sur le chemin où je désirais être seul, je suis tombé malade "... 10 novembre 1910, " J'aime ... " marie-josé pradez (La Théâtrothèque)
# écrit le 27/01/08


Comédie: Play Strindberg

-Du très grand théâtre !
10/10

Conjugalité, 30 ans. Bagne et petits bonheurs ! Liturgie d’un massacre ! Excellence de la mise en scène d’Alain Alexis Barsacq. Excellence de ses trois comédiens qui, dans un rythme d’enfer, plonge le public dans le monde mortifère des relations amoureuses où l’Amour est Mise à mort. Dürrenmatt rend ici un fervent hommage sans aucune trahison à la dramaturgie de Strindberg en adoptant un humour grinçant. Une tragi-comédie marquée du sceau implacable d’un curieux jeu de massacre qui reflète la guerre des sexes, présente partout depuis l’origine des temps. Relations cannibales posées en quelque sorte comme l’affrontement de deux principes, amoureux d’abord, haineux après, qui s’imposent dans le temps comme un inexorable combat singulier où la réduction de l’Autre, à des fins sado-masochistes plus subies que conscientisées, est l’objectif final, dérisoire et vain. Eternel retour d’une lueur de conscience, qui transformerait cette arène en spectacle possible sans en demander plus, aussitôt anéanti. La danse de mort, qui se repaît des énergies négatives des uns et des autres, aux dépens de toute transcendance et de tout véritable amour qui lui est, d’abord reconnaissance de l’autre et volonté de le voir grandir. Car qu’est que l’Amour ? Certainement pas cette relation chargée d’affects de toutes sortes qui instruisent les uns et les autres comme poteaux totémiques ou sortes de dagides où il s’agit de planter ses flèches et ses clous, en invoquant pour l’Autre le plus mauvais des sorts. Les trois comédiens sont admirablement imprégnés de la pièce et des accents de Strindberg, justement et sans ostentation, la replaçant dans notre contemporanéité. Alain Alexis Barsacq s’impose ici comme maître de rigueur en parfaite intelligence avec les comédiens dont l’unité et la cohésion sont parfaites. La rapidité de jeu n’est jamais confondue avec la précipitation ; les modèles, moules maliques à la Marcel Duchamp, composent une critique acerbe des rôles sociaux et formatés, particulièrement efficace pour stigmatiser ce monde de valeurs factices, apparemment solide où chacun se mesure à l’aulne d’une réussite sociale qui ne tolère ni perdant ni marginal. Un huis-clos où le Mal présent dans les déchirures, les vols et les trahisons réciproquement infligées semble le miroir du monde nourri des mêmes relations perverses de mensonges et de dominations. Les trois comédiens étourdissants, très bien au rythme de bout en bout soutenu, sidèrent la salle comble par le renouvellement constant de leurs mimiques, leurs expressions jamais figées, allant du ridicule au pathétique avec la même force. Ils sont mobiles, très toniques, grotesques avec naturel. Ils servent magnifiquement le texte cruel, rapide, bondissant et complexe, dans ce jeu de guignols bastonnés où ces amoureux sur le retour usent leur temps à vivre dans la dépense aberrante d’énergies limitées aux envies labyrinthiques du paraître et du pouvoir. Un spectacle souverain dont l’annonce de reprise pour la saison 2008 donne une grande joie. A la voir ou la revoir, saurons-nous sauvegarder notre propre amour. Avec le temps va, tout s’en va ? Marie-José Pradez (La Théâtrothèque)
# écrit le 02/04/07


One man show: Gilles Berry dans Un p'tit jardin sus l' ventre

-Quelle vacherie la guerre !
8/10

Jean-François Maurier et Gilles Berry, son interprète, nous conduisent dans une restitution de l’enfer des tranchées de 1914, en quelque sorte à la manière de Louis-Ferdinand Céline, Dédé, étant en quelque sorte, avec les nuances qui s’imposent, un petit frère de Bardamu. Evidemment le texte du metteur en scène ne prétend pas rivaliser avec l’insurpassable Voyage au bout de la nuit mais il est dans cette mouvance, et parvient à nous émouvoir tout comme la grande littérature de guerre de cette période que représentent Les Croix de Bois de Roland Dorgelès ou A l’Ouest rien de nouveau d’Eric Maria Remarque. Dédé et ses compagnons de malheur ont vite appris : la mitraille, les bombes incessantes, leur fréquence, leurs calibres, une oreille devenue experte. Les effets de la guerre sur les soldats, les procès pour l’exemple pour manque de motivation à sortir des tranchées et se faire héroïquement écharper, rappelant le film de Stanley Kubrick Les Sentiers de la gloire. Et les cadavres … plus nombreux et variés, amoncelés les uns sur les autres, plus déchiquetés les uns que les autres ouvrant au regard l’horreur de la chair devenue bidoche sanglante. Les viscères, les membres épars, les gueules cassées, des visages devenus grimaces effroyables... Absurdité totale de ce jeu de massacre sans aucun autre sens que l’évidence continue d’une totale déshumanité, pour des intérêts au-delà de la compréhension, la question posée étant : comment en finir avec cette vacherie ? Comment survivre dans cet océan de boue et de merde, que réécrira ensuite si terriblement Claude Simon, prix Nobel, dans La Route des Flandres. Toujours la boue, sangsue de la vie autant durant la première guerre mondiale que la seconde, que toutes les guerres, d’hier et de demain, sans doute.… « La boue qui gliss’ la boue qui coule… / La boue ventouse, la boue vampire, / Qui vous en goul’, qui vous aspire. » Chansons et humour comme réponses à cette dégringolade abyssale ? Le comédien Gilles Berry a la lourde tâche de donner vie à ce petit personnage, ludion d’alcool désorienté, qui s’accroche désespérément en optant pour le rire plus pathétique et plus radical que la colère. Ce personnage est caractéristique d’un aspect populaire au sens positif du terme en tant que pioupiou toujours narquois, seule attitude pour lui possible alors que tout autour s’écoule, jour après jour, l’incessante et absurde rythmique de la canonnade. Des réminiscences aussi : des histoires de filles, des fragments de tranches de vie passée flottant dans le labyrinthe de la mémoire où se sont accumulés les morceaux constituant des lambris de possibles au milieu de ce cauchemar navrant. Gilles Berry devient bien ce petit bonhomme touchant, un peu gouailleur, aux expressions et aux gestes d’un clown triste faisant, malgré tout, face. Il incarne avec justesse, avec un art du geste dessiné parfois même très poétiquement dans l’espace, le bon petit gars toujours prêt à en écouter une bien bonne au cœur de la fournaise qui est loin d’être bien bonne. Quelques petites chansons tracent dans la nuit du cœur ainsi que l’accordéon des accords au-delà de tout désespoir. Gilles Berry joue juste et rend un bel hommage à un texte pathétique sur une période qui ne l’est pas moins. Il restitue avec une simplicité bouleversante et des regards d’enfants perdus ces instants de tensions, de fraternité et d’humanité où celui qui survit promet à son frère d’armes qui déjà connaît sa fin, « un p’tit jardin sus l’ventre » ! Alors, grâce à ce travail, marqué du sceau de la probité qui mérite de trouver son public, et le conte écrit par Jean-Francois Maurier que nous relisons avec émotion publié chez L’Harmattan, l’on pense à tous ces Poilus qui ont fait le sacrifice de leur vie et dont nous pouvons relire à l’arrière de vieilles cartes postales jaunies, datées de1914 à 1917, de Verdun ou d’ailleurs, des mots nécessaires, car trop proches de la mort pour tricher, qu’ils adressaient à leur famille et qui parfois nous amènent à l’expression pour eux de notre plus grande compassion et notre gratitude. Marie-José Pradez (La Théâtrothèque)
# écrit le 01/04/07


Théâtre contemporain: La Reine morte

-"Obéir aux personnages et s'effacer" ; pari gagné !
10/10

« Puisque la scène figure le grand théâtre du monde, que les comédiens endossent les habits de l’humanité, le spectateur doit aussi participer à la construction de ce mystère pour pouvoir recevoir les fruits de cette re-création. » Jean-Luc Jeenner Une salle du palais royal à Montemor-o-velho au Portugal. Le roi Ferrante, âgé, usé, « las de sa cour, las du pouvoir, las de la vie » intime à son fils Don Pedro, son unique fils et seul enfant, d’épouser la jeune Infante de Navarre dont le tempérament ardent et viril compenserait avantageusement le caractère plus indolent de son fils. Mariage de raison, alliance territoriale et politique au profit du royaume et de Dieu. Mais ce fils trop sentimental, privilégiant l’Amour à l’Etat, refuse sans concession, taisant son mariage secret avec Doňa Inès de Castro. C’est elle, dans un entretien avec le roi, portée par l’amour de l’enfant à naître et la pureté de ses sentiments, qui parle jusqu’à l’ébranler, lui condamné pourtant par la logique du pouvoir. Comment tuer une femme ? Toute position chrétienne partagée ou pas, sensibilité et rigueur théâtrale s’imposent lorsque Jean-Luc Jeener accueille dans son théâtre. Un public informé s’y presse pour y voir et écouter un texte d’une grande splendeur spirituelle qui enrichit la présentation de l’Intégrale de Montherlant présentée jusqu’au mois de juin. Oui ! Un théâtre de l’incarnation ! Jean-Luc Jeener en invitant Philippe Desboeuf, compagnon de route de Jean Vilar doté de la même intégrité, démontre sa perspicacité dans le choix des acteurs. Le chef d’œuvre de Montherlant écrit en 1952, si actuel, servi par un comédien d’une présence impressionnante. Cet homme, au physique étonnant doté d’un visage incisif, frappé comme une médaille, impressionne d’autorité faisant vivre l’usure de ce roi prisonnier de puissants dilemmes. Philippe Desboeuf, par son jeu sobre et concentré, grave chez les spectateurs des images qui s’imposent à la mémoire sans nuire de la moindre façon à la présence des autres comédiens, unis dans cette liturgie, chacun déclinant avec justesse les relations possibles au Divin, de proximité ou de distance, évidentes ou brouillées. T Héros tragique, Ferrante est un homme exposé à la solitude. Solitude du pouvoir et des sentiments. Mort de l’épouse, fils surtout en lequel il ne peut projeter aucune reconnaissance. Solitude psychologique, politique sans doute, mais bien davantage solitude spirituelle confronté au mystère de sa nature divine. Un cœur longtemps sec, par devoir, des crimes nécessaires par raison d’état, une clairvoyance assumée tenant bride à l’expression du remords et de la douleur… Mais tout de même… comment Dieu parle-t-il en lui ? Bien qu’acceptant son assassinat par raison de conseillers, l’un aux raisons fangeuses, mais en acceptant d’être ému par elle et en mourant, Ferrante n’exprime-t-il pas dans cette confrontation à Doňa Inès, à sa pureté, sa naïveté, la certitude de sa vérité dans l’Amour, la part de Dieu en lui-même ? Dans une scénographie excluant par choix tout réalisme anecdotique et accordant le primat au texte lu avec acuité, Jean-Luc Jeener et ses comédiens rapprochent le public d’une interrogation sur la condition humaine. Qu’en est-il de la une liberté humaine ? Qu’est-ce qu’aimer, qu’est-ce que gouverner ? Aimer et gouverner sont-il antinomiques face à un Dieu peut-être improbable ou aux desseins impénétrables pour sa créature ? Comment penser le Mal ? Un rachat possible est-il envisageable ? Quel est le sens de la mort pour cet homme que l’exigence de sa charge a rendu à la fois aride, néanmoins en quête de sa propre humanité ? Des questions qui s’adressent aussi sans doute à nous… Montherlant ouvre les voies à toutes les interprétations et ce Théâtre-là est capable d’émouvoir charnellement car il évoque les tensions au cœur de l’homme, sa fréquentation des abîmes, ses verrous et ses espérances de lumière et d’ouverture. Marie-José Pradez (La Théâtrothèque)
# écrit le 04/03/07


Théâtre contemporain: Fin de terre

-Apocalypsaume...
8/10

Fin de terre Elles sont deux, l’une déjà dans la maturité de l’âge, météorologue, marginalisée à cause d’une présence et d’une personnalité trop forte aux yeux du commun ; l’autre, dans la fraîcheur de la jeunesse, rescapée d’un viol collectif commis par la horde de quelques nouveaux barbares, suppôts du diable nés de l’effondrement du monde. Folie des hommes fascinés par le profit ! Survivantes, recluses dans une sorte de cabaret-blockhaus, elles se protègent l’une l’autre, intègres et résistantes, libres et conscientes, fortes et fragiles malgré tout. Du côté de la vie : conscience, éthique, liberté, espérance d’un avenir restauré. Force de la pensée et de la foi face à la nature régressant à l’état originel d’un chaos, tempétueuse, déréglée, apocalyptique. Détermination et constance, fidélité aux valeurs de l’homme face à la disparition autour d’elles de la civilisation, constructrice pourtant si longtemps tenace du Droit au bénéfice des hommes. Elles sont là, dans un temps suspendu à l’effondrement de leur falaise du bout du monde jusqu’à l’arrivée de John Voltness, une vieille connaissance, ministre chargé de mission, accompagné de sa terrifiante épouse, et le jeune Radjick, un pied dans la barbarie, un dans la liberté, l’aptitude à aimer toutefois vivante, comme rescapée… Précarité des empires : à voir les civilisations disparues, les hommes d’aujourd’hui pourraient bien avoir assez d’imagination ou d’angoisse pour craindre de voir leur monde se néantiser à son tour. Illusion, utopie de le croire ? Beaucoup pourtant devant l’évidence du bouleversement climatique, d’une pollution grandissante, l’urgence d’un réveil collectif, d’une anticipation avant l’irréparable et le sans retour pour l’humanité, tentent, du lieu de parole qui est le leur, de mobiliser. Sara Veyron, avec les moyens modestes qui sont visiblement les siens, le décor est réduit, les costumes, les accessoires et la création lumière limités, dirige fort intelligemment ses cinq comédiens dont aucun ne donne le sentiment de n’être que de gentils amateurs, pleins de bonne volonté. Le jeu de chacun, faisant circuler la parole de Georges Cagliari avec netteté, porte très professionnellement ce cri d’alarme quant à cette folie des hommes de croire qu’ils sont immortels. Libres de laisser libre cours à la souveraineté de tous les désirs ? Non ! Sans respect des lois de la nature, de son inimaginable et admirable complexité ? Naufrage programmé ! Jean-Louis Jenner peut regretter avec justesse le manichéisme de la pièce. Il reste que cette simplicité, au regard de la tension qui émane de la salle et de ses sursauts lorsque la terre semble bouger, rapproche le public des grands dangers que court, comme jamais, le jardin planétaire, bientôt peut-être désert ou dépotoir planétaire. Jean de Coninck et Jochen Haegele sont particulièrement remarquables par leur présence et leur intelligente compréhension de leur rôle. Le premier incarne avec une grande présence et une intelligence du texte et du rôle ce ministre déchiré par un dilemme. Survivre en s’accommodant d’un pacte avec le mal ou disparaître dans une réconciliation avec soi et ce qu’on avait de meilleur ? Jean de Coninck, fort distingué, juste dans ses regards, ses postures, ses intonations, ses répliques est très convaincant dans l’évolution de son personnage glissant d’une lucidité cynique et désabusée à une émotivité retrouvée conduisant à l’acceptation de son naufrage final. Pourquoi ne le voit-on pas au théâtre plus souvent ? Le second, notamment par sa voix, sa diction, un physique agréable, incarne avec naturel, débarrassé des tics d’école, ce jeune Attila qui, aliéné d’abord à la loi du plus fort, se convertit à d’autres forces porteuses peut-être d’un avenir plus radieux, restauré. Annick Roux, en jouant sur l’excès et la caricature de manière très volontaire et étudiée, de tics en grimaces, de déplacements mécaniques et corsetés en convictions monstrueuses formulées dans une certitude sidérante sans l’harponnage possible d’un doute salvateur, sert avec efficacité la mise en scène de cette folie. Yolande Folliot et Hélène Bizot renforcent le jeu de tous par la mesure ou la sincérité qu’elles apportent. Cette pièce, accessible à tous, trouve pleinement son sens dans une époque à les dangers du progrès sont très sensibles, de plus en plus lisibles par tous. Par ce huis-clos inquiétant, cette montée risquée sur l’Arche de Noé, Georges de Cagliari et Sara Veyron nous poussent pour certains à vouloir en savoir encore plus sur les maux de la terre… et le livre d’Hubert Reeves à cet égard est un bien précieux allié pour nous sortir de notre torpeur et de notre fatalisme et notre irresponsabilité, Mal de terre. Et pourtant, que la terre est belle ! Les tigres, les pumas, un guépard, les baleines, la mer, les Himalaya, un pissenlit, un flocon de neige, un manchot empereur… Marie-José Pradez -
# écrit le 25/02/07


Théâtre contemporain: La colonie pénitentiaire

-Intelligent et précieux pour les examens et pour soi...
10/10

L’Esprit semble à l’infini pouvoir inventer le Mal, les génocides, les instruments de supplices, les machines à détruire et à punir. Et souvent au nom de Dieu, des dieux, du Roi ou de la Loi. Octobre 1914, en un peu moins de quinze jours, Kafka écrivait d’un trait ce récit court et fulgurant à côté duquel passait la critique n’en percevant ni la nouveauté ni la force ni la puissance d’interrogation. Tout entier dans la gestation littéraire du Verdict, de La Métamorphose et du Procès dont la fin le tourmentait, il mettait encore en mots un texte aussi magnifique qu’effrayant, voire prophétique. Trois ans avant sa mort, en 1922, malgré l’épuisement, le mot juste, l’argument net et le climat effrayant Une île dans les Tropiques, la colonie pénitentiaire. Un voyageur avec fortes recommandations mandaté pour rendre compte de l’exécution capitale d’un soldat, qui faute extrême, s’est endormi, acte considéré comme « désobéissance et outrage à son supérieur », se voit expliquer par l’Officier le fonctionnement du système judiciaire de cet Etat institué par l’Ancien Commandant, auquel il adhère et qu’il pérennise, mis pourtant en question par le nouveau Commandant entouré des dames. Sortie d’une intelligence technologique diabolique, la Machine à punir, d’abord soumise se dérègle…Un monde qui passe, un autre qui le remplace, mais nourri aussi de corruption. Pourtant un horizon vers les progrès du Droit et des procédures de justices criminelles… André Salzet est un comédien qui frappe d’abord par sa finesse, sa présence douce, presque fragile, sa discrétion, ensuite sa gentillesse, sa courtoisie, sa simplicité, son enthousiasme quand il vient à parler de son travail. Un homme doux, un peu lisse. L’on pouvait se demander comment il allait tenir de part en part, dans ce monologue, la polyphonie qui s’y déploie, passant de discours du voyageur aux répliques aberrantes ou pathétiques du soldat et du condamné, à celles surtout de l’Officier à la parole particulièrement âpre et emmurée. André Salzet pendant une heure un quart captive le public en ne cessant de faire monter la curiosité, l’angoisse, le sentiment d’horreur jusqu’à la description de l’emballement de la machine et la scène du meurtre où le l’exécutant devient l’exécuté, scellant de manière sanglante son destin, poussant sa propre logique jusqu’à l’absurde sans tout prévoir… Le comédien porte le texte avec la précision de l’horloger qui maîtrise les mécaniques les plus subtiles en tordant le cou à dessein à toute exhibition ampoulée et égocentrique. Narcisse ? Non ! Kafka ? Oui ! Le texte, rien que le texte ! André Salzet ne travaille pas en force pour mettre en scène l’univers sado-masochiste que porte le texte. En souplesse et dans une économie intelligente du geste, du mouvement, scrupuleux, minutieux, il fait pénétrer le public, sans le brusquer tout ou le terrifiant, dans l’univers sombre parfois jusqu’au burlesque, de l’écrivain tchèque. Folie de l’officier appliqué avec un zèle inoui à la préparation de la Machine pour l’exécution, à l’explication de sa construction jusqu’à son fonctionnement, « une mise au point parfaite » ; fascination dévote et délirante pour la machine de mort, disparition de toute empathie pour le condamné, soumission aveugle et déraisonnable à une idéologie morbide… André Salzet, par sa clarté, son talent de la nuance, rend visible l’horreur sans verser dans l’horrifiant ou une débauche d’éclats déplacés ou vulgaires. Le rituel de la mort décrit, avec la distance du technicien, lors de l’installation du condamné sur la Machine, la justification par l’officier de système judiciaire fondé sur la force sans la justice, n’en sont que plus terribles. Ah, la certitude d’avoir raison ! Ah, la conviction quand elle oublie l’équité ! Le comédien ébranle la salle en lui offrant ce texte et lui permettant de voir cette Machine absente mais présente qui rappelle la machine du Jardin des Supplices de Mirbeau et bien plus, toutes les inventions réelles que l’homme a su inventer tout au long de l’histoire, machines de torture et de mort, l’estrapade, le chevalet, la cagne, le fer rouge, la guillotine… pour ses frères humains. Ne faut-il pas punir les méchants ?!!!... Mais qui sont les méchants ?!!! Un spectacle qui ne joue pas sur le spectaculaire mais qui est spectaculaire par la force d’un texte et l’honnêteté profonde de celui qui le sert. A ne pas manquer et même sans doute à intégrer pour tous ceux qui préparent des examens. Une mine pour la réflexion littéraire et philosophique. Le moyen d’entretiens passionnants et valorisants avec les jurys d’examen et la joie d’un retour vers Kafka qui donne toujours à découvrir et à penser. Marie-José Pradez (La Théâtrothèque)
# écrit le 25/02/07 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com



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