Il y a des mots qu'on entend souvent employer à tort et à travers. Des mots comme talent. Merveille. Brillant. Exceptionnel. Rare. Bonheur. Unique. Autant de perles privées de leur éclat à force d'enfilages télévisuels saoûlants et de guirlandes d'autopromotion vulgos, passées au cou des potes de réseau par des rescapés siliconés de reality shows boursouflés. Du coup, quand on se prend à les écrire pour toutes les meilleures raisons du monde, au sujet d'une vraie réussite artistique qui mérite qu'on la défende et qu'on en fasse assez l'article pour que d'autres la découvrent, on se sent toujours un peu couillon, un peu dérisoire, tellement en-dessous de la réalité qu'on hésite même à dire quoi que ce soit. Et puis on le fait quand même, parce qu'on ne va tout de même pas se laisser pourrir l'existence par les béotiens qui tiennent (mal) les cordons de la bourse. Dont acte. Nationale 666, de Lilian Lloyd, est une merveille. Une comédie douce-amère à l'écriture aiguisée et au rythme irrésistible, portée par un trio d'actrices exceptionnelles. Un bijou de talents conjugués, un moment unique à vivre d'URGENCE à Paris, à l'excellent théâtre de la Contrescarpe, pendant seulement quelques semaines encore, les dimanche et lundi soir. Si vous êtes dans le coin, ne vous privez pas du bonheur d'aller rire - et moins rire - devant un spectacle franchement éblouissant d'intelligence, de justesse, de verve proprement audiardesque et de sensibilité à fleur de peau, qui dissèque, d'une plume acérée façon scalpel, l'idéal conjugal / familial Harlequinesque enfoncé dans la gorge des femmes (plus encore que des hommes) en pleine France giscardienne (ça se passe en 1980), et y trouve les racines d'un certain féminisme moderne, sans jamais prêcher quoi que ce soit ni simplifier les contradictions et les questionnements inhérents au sujet. Tout ça fuse et virevolte avec un charme jouissif, une énergie proprement rock (la bande son est à tomber, au passage) et un naturel tellement désarmant (les trois filles sur scène doivent être télépathes, c'est pas possible autrement) qu'on ressort de là sans savoir si on est plus ébloui que touché ou l'inverse, et qu'on s'en fout royalement, tellement c'est bon. Je vous souhaite à tous, si vous passez par Paris dans les 3 ou 4 semaines qui viennent, d'aller vous offrir cette heure et demie de brillance. Quant à moi, ç'est la quatrième pièce de Lilian que je vois, et là, je vais faire plaquer ma carte de fan à l'or 24 carats. Courez-y, je vous dis. Y en aura pas pour tout le monde. # écrit le 12/04/16