Peu importe si Coco Chanel fut une cheffe d'entreprise ambitieuse, hostile au front populaire et viscéralement antisémite, qui n'hésita pas à s'afficher avec un officier allemand pendant l'occupation pour mieux servir ses intérêts. Tout celà est évoqué dans le spectacle "Mademoiselle Gabrielle Chanel", mais n'en constitue que l'une des multiples facettes d'un personnage protéiforme. Cela n'empêche en rien le récit narratif de nous promener agréablement d'une époque à l'autre (non sans quelques flash-backs), dans un tourbillon de situations cocasses et drôlatiques, entrecoupées de chansons - pour certaines chorégraphiées - magistralement interprétées par la troupe. Celle-ci, du nom de "compagnie Croc-en-Jambe" est composée de l'auteure, Sophie Jolis, de Sophie Garmilla, émouvante et très juste en Coco Chanel jeune, de Julia Salaün, à la voix sûre et envoutante, qui se glisse à intervalles régulièrs dans la peau d'Adrienne, la jeune tante de Coco et son amie de toujours, dans celle de Mysia, femme polonaise du peintre catalan Josep Maria Sert, quand elle ne rend pas un truculent hommage téléphonique à Marilyn ! Relevons les performances des 2 garçons : Guillaume Nocture, parfait en Etienne Balsan, ce "gentleman-rider", ancien militaire et rentier fortuné et, last but not least, l'innénarrable Antoine de Giuli, déjà apprécié dans "LE DINDON" - monté par la même compagnie - qui, tel un fregoli passe de Boy Capel au parfumeur Ernest Beaux, puis d'Alfred, le majordome de Balsan, à Jacques Rodier, le spécialiste du jersey, sans oublier l'allemand Spatz et Jean Cocteau, dont il fait une irrésistible incarnation. L'accompagnement musical est effectué en live, au piano, par Jonathan Goyvaertz, ce qui offre à la troupe une totale liberté de rythme, chose qui n'est plus si courante de nos jours. En résumé, un spectacle tous publics, particulièrement enjoué et agréable, une ode à la joie bien salutaire en ce moment, que je recommande à tous ! # écrit le 13/03/24
Le parti-pris du metteur en scène Dan Morgenthaler - par ailleurs excellent dans le rôle d'Arlequin - est de dépoussiérer cette oeuvre classique, parfois jouée sur un registre dramatique voire kafkaîen (cf. la mise en scène de Galin Stoev, en 2021, au théatre de la Porte Saint-Martin) pour qu'elle déclenche le rire et soit compréhensible par tous, petits et grands. À la manière de la commedia dell'Arte, les personnages font preuve d'une folle énergie pour dire impeccablement leur texte tout en virevoltant sur scène, tels des danseurs ou des acrobates. La palme dans ce domaine revient à la jeune Talina Boyaci qui joue Silvia et accomplit une performance tant physique qu'artistique, les mots de Marivaux lui venant à un rythme soutenu avec un naturel déconcertant. Le reste du casting est impeccable, Roxanne Giovanelli, dans le rôle de Flaminia, est à la fois terriblement séduisante et manipulatrice, tout en laissant entrevoir dans son jeu l'injustice de sa situation. Pour le rôle de Lisette, la coquette ridicule, Maxence Picard - c'est un garçon - nous fait une composition digne de José Garcia à la bonne époque de "NPA". Rémy Roger, qui joue le valet Trivelin, se démène sur scène avec énergie et conviction. Je serai sans doute plus reservé quant au choix d'avoir fait du Prince un imbécile pathétique. Clément Dameron, qui l'interprète, s'en sort comme il peut. Mais la tâche est rude. Au final, un divertissement drôlatique, qui permet en outre de mieux comprendre certains ressorts cachés de cet immortel classique de Marivaux. # écrit le 22/03/23
À la fois auteure, comédienne et chanteuse, Cécile Magne nous offre ici une série de textes, teintés de féminisme, inspirés de la carrière de l'actrice comique Jacqueline Maillan, décédée en 1992. Elle les interprète avec sincérité et conviction, les contextualisant dans l'univers du personnage qu'elle incarne ; si bien qu'il est difficile, parmi ces textes, de distinguer ceux qui relèvent de la citation et ceux qui constituent une totale re-création, à partir du caractère supposé de "la Maillan". Cette pièce est un hommage à une grande dame de théâtre disparue, mais surtout une réflexion sur l'influence des artistes - en tant que prescripteurs d'humour et de sagesse - sur nos propres existences. Les mots sont drôles, les chansons (surtout celle en anglais) interprétées avec justesse et émotion. Bref, une totale réussite, qui mériterait une plus grande résonance... # écrit le 11/10/17
Difficile de dire, sur scène, un texte qui n'était pas initialement destiné à être récité en public. En effet, PREMIER AMOUR est une nouvelle en partie autobiographique mais énormément phantasmée, que Beckett écrivit en 1945 et qui ne fut finalement publiée qu'en 1970. Rien de bien sensationnel dans cette histoire de rencontre sur un banc à la nuit tombée, avec une femme dont le narrateur ne distingue d'abord pas les traits et qui se révèle être, au fur et à mesure que leur relation s'approfondit, une prostituée entre deux âges du nom de Lulu, atteinte d'un net strabisme et prompte à quitter ses vêtements pour exciter l'homme qu'elle a la bonté d'héberger et accessoirement d'entretenir. Le mythe de la pute au grand coeur qui tomberait amoureuse d'un client au point d'en faire son maquereau est un rêve vieux comme le monde, parfaitement irréaliste mais qui flatte l'égo de ceux qui y adhèrent et auquel ne semble pas avoir échappé le fantasque Beckett. La mise en scène, inventive, fait tour à tour du siège planté sur scène un banc de square ou un canapé confortable. Les branches d'arbre qui surplombent le comédien sont des fils tendus où s'alignent les pages de sa mémoire. Seul en scène, dans ce décor minimaliste, Pascal Humbert parvient à donner corps à son personnage un peu terne, très imbu de lui même et dont on se demande comment il a pu inspirer tant d'amour de la part de cette femme qu'il traite avec dédain. Il restitue de sa voix grave le texte de Beckett sur un ton parfaitement senti, qui rend crédibles les quelques énormités que son personnage va tour à tour proférer à l'égard de Lulu, du monde et même de nous public, à qui je recommande vivement de courir applaudir cette pièce. # écrit le 11/09/17 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Cette pièce est une tuerie ! J'avais vaguement entendu parler de "L'épopée de Gilgamesh", mais j'ignorais à quel pays (Inde, Perse ?), à quelle époque rattacher cette histoire légendaire. J'ai donc voulu me faire une idée plus précise en bénéficiant de l'invitation proposée par le théâtre des Déchargeurs. Bien m'en a pris, car le spectacle auquel j'ai assisté était tout bonnement époustouflant. Les 3 interprètes sont à la fois comédiens, danseurs, mais aussi parfois acrobates. Il leur arrive de se muer en animaux, de se battre, de chanter des mélopées envoutantes. A chaque instant, ils occupent la scène avec une puissance de jeu extraordinaire et toujours de manière surprenante. La mise en scène, au cordeau, est signée du duo Edgar Alemany / Ivanka Polchenko. Un vrai bijou ! En bref, je ne saurais trop vous conseiller d'aller applaudir Cyril Descours (croisé au cinéma dans "Une petite zône de turbulences" puis "La ligne droite") ainsi qu'Amandine Audinot et Giorgia Ciampi dans ce remarquable Ô Gilgamesh ! # écrit le 08/09/17
Qu'y-a t'il de plus horrible que le drame enduré par une jeune femme, contrainte de subir les assauts amoureux de son propre père ? C'est pourtant le thème de "Peau d'âne" qui sert de fil conducteur à cette comédie déjantée. L'écriture de la pièce se nourrit de l'ensemble des thèmes des contes de fées. On y trouve pèle-mêle tous les détails, le vocabulaire et les situations de ces histoires qui ont nourri notre imaginaire. Mais la pièce ne respecte ni la continuité dramatique ni la morale induite par Perrault. Elle intervertit ses personnages et mélange ses intrigues, de manière à déconcerter le public et provoquer son hilarité. Ce qui ressort, avant tout, de la pièce de Sarah Fuentes, c'est la puissance comique de son actrice principale, une comédienne et chanteuse protéiforme, non-dénuée de charme et qui répond au nom de... Sarah Fuentes. Co-responsable de la mise-en-scène, celle-ci s'est ménagé quelques morceaux de bravoure hilarants, tels la mort interminable de la reine ou l'arrivée inattendue d'une soi-disant médecin nazie, qui s'exprime en hurlant à la manière d'un Francis Blanche dans "Babette s'en va-t-en guerre". En dehors de Sarah, qui s'est attribué une grosse part de la charge comique de la pièce, on notera l'excellente prestation de la jolie Maud Imbert. Incarnant tour à tour Peau d'âne, "the Death" et Blanche-Neige, elle peut paraître gracile et touchante, ou drôlissime, voire très coquine, lorsque elle évoque ses relations délurées avec les 7 nains... Il est dommage qu'une création aussi complète, portée par des comédiens talentueux aux costumes sophistiqués, ne bénéficie pas d'une scène plus grande, apte à développer et transcender la mise en scène. Quoi-qu-il-en-soit, si vous aimez rire, ne vous fiez pas au titre intello-chiant "Fucking happy end", ce spectacle est une réelle réussite ! # écrit le 17/04/17
Le texte de l'américain George Brant est une merveille de lucidité, de subtilité, de passion, de désir de surpassement de soi, de volonté d'exister. Et son interprète, Pauline Bayle, le dit - ou plutôt le vit - d'une manière exceptionnelle. Elle est cette personne, cette aviatrice, cette épouse et mère de famille, cette exécutrice au mental affecté par les horreurs d'une guerre qu'elle n'est même plus en mesure de ressentir pleinement. Elle nous fait toucher du doigt l'aberration incroyable qui consiste à combattre derrière un écran sans risquer soi-même pour sa sécurité. Le personnage qu'elle incarne organise ses propres rites païens (amoncellement d'objets sur des croix, écoute d'une musique rock décompressante) pour échapper à la folie qui la guette. Et Pauline Bayle s'en sort merveilleusement en y mettant toute son énergie, sa puissance de jeu et même sa séduction féminine, qui transparait chaque fois qu'elle quitte sa combinaison de pilote. Ce spectacle, qui évoque un sujet grave et difficile, n'est pas pour autant rébarbatif ou didactique. Le spectateur est pris à témoin d'une réalité aberrante qui est normalement cachée à sa connaissance. Et là, la vérité nous apparait dans sa plus aveuglante horreur. Le traducteur Gilles David a fait un travail remarquable, que sa mise en scène à la fois sobre et efficace contribue à transcender. Merci à tous, pour cette oeuvre qui restera longtemps gravée dans nos mémoires. # écrit le 12/10/16
Le titre de la pièce, volontairement anachronique, juxtapose deux icônes de la lutte contre l'injustice : un super-héros emmailloté et un chantre historique de la révolution populaire. Si l'homme chauve-souris est bien présent, de manière anecdotique, parmi les multiples personnages gravitant autour du héros, l'idée même de la "vertu" chère à Maximilien Robespierre, est ici la tare qui va provoquer la déchéance de "Jean-Claude", excellemment interprété par Sylvain Tempier, et le vouer aux gémonies d'un monde déshumanisé. L'homme ordinaire dont il est question ici "n'a jamais rien fait de mal". Mais le mal est partout présent autour de lui : Son patron cynique, un maire arriviste, un communiquant imbu de lui-même et sa propre épouse, méprisante, sont autant d'incarnations d'une société dure et malveillante à l'égard de ceux qui s'entêtent à vouloir suivre le droit chemin... Les quatre acteurs sur scène interprètent avec brio et une bonne dose d'énergie une comédie décapante, qui critique de façon crédible notre société absurde : un système où pour survivre tout le monde se met subitement à courir, sans que quiconque ne soit poursuivi. Personne ne pourra aider personne : ni les politiques à tête de lapin, ni les banquiers, ni les huissiers, ni les coachs de réinsertion. Pour grave que soit le sujet, l'inexorable descente aux enfers de "Jean-Claude Barbès", un monsieur-tout-le-monde semblable à nous (que la mise-en-scène fait justement sortir des rangs du public), va nous dérider. La pièce d'Alexandre Markoff dépeint une situation qui pourrait nous faire froid dans le dos. Mais ses répliques font mouche à chaque coup et le jeu brillant des comédiens nous fait rire, un rire dont on ne peut légitimement avoir honte. # écrit le 14/09/16
Un texte remarquable, ayant pour décor l'ex-Yougoslavie des années quatre-vingt-dix, plongée dans un conflit sanglant et fratricide, qui précipite tour à tour dans le chaos tous les membres d'une famille recomposée. Parallèlement à une réflexion attendue sur l'absurdité des guerres civiles, l'auteur Enzo Cormann s'attache à démonter les subtils mécanismes qui vont permettre la lente réconciliation des 2 demi-frères, supposément opposés par leur origine ethnique et leur différence d'âge. Les nombreuses références à la psychanalyse (le frère aîné est psychiatre), à la philosophie et à la culture en général (le cadet, qui passe d'abord pour un raté, est tout de même professeur d'histoire) nourrissent le dialogue entre les 2 frères de réflexions savoureuses et de citations savantes. Ce texte est admirablement servi par 2 brillants comédiens (Syrus Shahidi et Stan Tyebo) qui mettent leur talent et leur énergie au service d'une pièce somme toute excellente. # écrit le 24/05/16
A l'unisson de ces deux malicieux lascards, on aimerait vraiment faire capoter le système bancaire et voir acculés à la ruine tous ces financiers infatués qui s'empiffrent en dégraissant nos misérables comptes courants. Matthias-Leonhard Lang (celui à la fine moustache) et Derek Robin (le plus mince) forment un tandem délicieux et complémentaire plein d'une énergie communicative. Sous l'apparence de joyeux amuseurs, ils décapent et dénoncent. Leurs sketches font mouche à tous les coups et les rires fusent dans la salle. Le mariage des deux banques qui s'achève au chevet d'un compte (personnellement j'aurais parlé d' "alimenter" ce compte plutôt que de l'ouvrir) ou la séance chez le psy pour le banquier ayant retrouvé une conscience, sont autant de pépites drôlatiques et corrosives. Quant au final chanté (sur le thème "On veut tous être banquiers !"), il est digne de bien des musicals de Broadway et d'ailleurs. J'y ai même trouvé des reminiscences du "Mary Poppins" de Walt Disney, où l'un des héros précisément nommé Mr. Banks, banquier de son état et d'abord trop sévère, finissait par fustiger la banque et son égoïsme. Bref, un excellent spectacle, appréciable à tout âge et... à la portée de toutes les bourses ! # écrit le 05/05/16