Matthieu Varnier

Théâtre contemporain: César ou le poète amoureux

-Un bon moment.
Il est fort agréable de se replonger ainsi dans l'esprit fort bien revisité d'un Cyrano, avec quelques accents discrets d'un Cid. La pièce est fluide, certains vers particulièrement bien troussés, et le sujet, simple et profond à la fois, est toujours aussi actuel sous ses atours belle époque. Cette pièce, c'est en quelque sorte un Cyrano coupé en deux et confronté à lui-même, c'est sa part mousquetaire luttant contre le poète en lui, c'est la bravoure contre la sensibilité. Chez Edmond Rostand l'épée servait de paravent pudique à la plume, le Matamore couvrait de son ombre immense les nobles faiblesses du Romantique. Chez Abidi les deux entrent finalement directement en concurrence pour le coeur d'une nouvelle Roxane, et au delà dans une quête de légitimité à son égard... sur fond de réflexion sur le bonheur -sa nature et ses droits. Mon seul petit regret serait peut-être que dans cette pièce courte la rivalité ne soit pas portée plus haut encore, car si le suspens dure bien jusqu'au bout, la préférence à la plume, dans le traitement des deux partis, se note assez tôt, et on aurait pu s'interroger aussi sur un bonheur certes tendre -offert par le poète- mais incertain, bohème... Et au fond peut-on aimer quand on a faim ? (Par exemple, et pour s'inspirer de Maslow). En tout cas une belle représentation, des personnages bien campés, avec justesse et émotion, et le plaisir -qui ne se boude pas !- de se replonger dans l'esprit des classiques tout en découvrant quelque chose de nouveau. Merci à la troupe !
# écrit le 18/12/22 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com

Théâtre de boulevard: Amants à mi-temps

-Truculent et fin à la fois.
La pièce est (vraiment) drôle, les réparties parfois mémorables, bien amenée, et superbement jouée. Sans jamais baisser en intensité elle pourrait même porter à réfléchir -sur l'égoïsme, sur le faux naturel accepté de certaines situations- du moins si les rebondissements nous en laissait le temps ! Un très bon moment, et dans sa version parisienne au théâtre Edgar, 3 excellents comédiens.
# écrit le 21/07/21 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com

Théâtre classique: Cyrano de Bergerac

-Une interprétation rare et inventive.
Un samedi 27 qui restera en mémoire. Une interprétation d'une rare justesse, dans le superbe écrin du Ranelagh, dont les boiseries se font aussi décors... Un texte beaucoup caviardé -de quoi serrer le coeur du passionné légitime de cette pièce à part- mais superbement servi. Une scène finale comme il est peu souvent donné d'en voir, toute en pudeur nostalgique et en délicatesse, émouvante et juste. Un Cyrano un peu fantasque, campé par Stéphane Dauch avec beaucoup d'expressivité, et qui voile pudiquement la sensibilité du personnage d'un entrain presque bouffon mais jamais grotesque, là où d'autres interprétations usent d'un répertoire plus viril ou plus hautain. Une interprétation qui pouvait faire craindre de fragiliser la dimension héroïque de ce Cyrano vif et remuant, n'eut été le (grand) talent de l'acteur, capable de nous amener avec légèreté à travers toutes les émotions de la comédie et du drame, jusqu'au final aux accents de Sorano. La mise en scène mérite au reste à elle seule le détour, inventive et respectueuse, pleine de trouvailles, recréant du sens sans le trahir. Le violon, bien sûr, rehausse les monologues de son soupir musical, et crée une véritable atmosphère autour du héros. Mais les autres rôles sont à la hauteur de ces performances, d'un De Guiche digne et nuancé à une Roxane frivole, impérieuse et pourtant attachante, en passant par de viriles cadets ou un Ragueneau méritoire. Bref, le seul regret, devant cette si belle réappropriation de l'oeuvre, c'est bien qu'elle ait été coupée, et que le plaisir vif de cette découverte n'ait pas duré encore une petite heure de plus, rythmé par ces vers implacables et ce travail scénique d'artisan.
# écrit le 29/10/18