Ses critiques -A voir, à lire Sarah Pepe est habile. Pour sa pièce de théâtre Points de bascule, l autrice met en scène la confrontation de Soeur 1 et Soeur 2, perdues de vue depuis 30 ans, une manière de crédibiliser l affrontement physique et verbal de classe de deux protagonistes d un hypermarché qui ne devraient pas se croiser. Deux personnages c est bien assez pour donner de la chair à ce combat social. Après tout les soeurs Papin ont bien initié de concert le meurtre rituel de classe et c est ensemble que les soeurs Tatin ont inventé à tarte à qui elles ont donné leur nom. Justement soeurs 1 et 2 de Points de bascule ne portent pas de noms. Sûrement, elles incarnent dans la vie bien plus qu elles : tous ces salariés- et l on devrait l écrire au féminin si le nombre en grammaire était plus important que le patriarcat - toutes ces salariées donc de première ligne qui ont eu le temps du confinement l honneur des discours mais jamais dans les faits de reconnaissance. Soeurs 1et Soeurs 2 sont donc de part et d autre de la barricade, la premiere à la caisse ce dont elle devrait remercier Soeur 2, l autre dans son bureau, exécutante des exigences de rentabilité des actionnaires sous couvert de rationalité. On découvre à travers l écriture ciselée de Sarah Pepe les analyses de la sociologue Marlene Benquet : Les damnées de la caisse. Dans son récit d une grève d un hypermarché marseillais y sont décrits les mécanismes de domination des donneurs d ordre sur les salariées, leur stratégie pour la maintenir et augmenter les dividendes ainsi que le processus émancipateur qu est la lutte. Points de bascule est irrigué de ces enjeux. La conclusion de Sarah Pepe au prisme de la discussion sororielle pose la question ouverte de la transformation de la société entre les limites d une lutte qui a son périmètre et la propre récupération patronale et la stratégie des petites avancées à chaque fois remises en cause par l appétit de rentabilité et de cash flow. Mais Soeur 1 et Soeurs 2 ne sont pas uniquement des êtres sociaux. Elles sont unies par un lien familial. Et c est par ce mélange de politique et d intime qu on pense à la dimension mythologique de Points de bascule où se rejoue sans cesse l affrontement de l éthique et de la loi. A la manière dont Antigone et Ismene se font face. Car c est bien un face à face auquel nous avons à faire. Face à face où seront invoquées les figures du peuple comme celle du pouvoir économique ou familial. Avec des grands invisibles: les actionnaires manipulauteurs, qui planent sur l espace scénique, dont les coups de téléphone ont la vertu de la voix de Yaveh communicant les tables de la loi à Moise, les parents qui s ils étaient marionnettistes appartiendrait au théâtre d ombres tant leur art s exerce par le bas en remontant au ventre. La fin sociale n est que trop crédible tant on croirait que le patronat connaît son Marivaux et son don pour inverser les rôles. Quant à l affaire de famille il faut quelquefois savoir choisir la promesse. # écrit le 04/06/22
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