Théâtre contemporain: À la ligne

-Salutaire et essentiel
En cette période où ne parlent du travail que ceux qui ne savent pas ce que c'est, il est salutaire et rafraichissant d'entendre enfin la voix de ceux qui pour qui cela ne correspond pas seulement à parader en costumes pour enfiler des banalités au bout desquelles on demandera à ces feignants de travailleurs d'aller bosser encore davantage et pour moins cher. Adapté d'un livre de Joseph Ponthus, un khagneux obligé d'aller gagner sa vie dans un abattoir, la pièce À la ligne, jouée jusqu'au 21 juin au théâtre de la Huchette, nous offre ce bol d'air social si nécessaire. Incarné par un Grégoire Bourbier inspiré et qui a adapté le livre, Joseph Ponthus nous plonge pendant une heure dans le monde brutal de l'usine, cet endroit où l'on ne vient au départ que pour les sous et qui finit par prendre possession de votre corps et de votre esprit. Il raconte les collègues, les chefs, les horaires, la cadence, la douleur et cette fatigue qui s'installe, finit par faire partie de vous et que vous emportez vers vos proches quand vous rentrez à la maison. Il dit l'usine qui revient dans vos rêves, dans cette tension dont jamais on ne se débarrasse, dans ce vide qu'elle laisse au milieu des seules journées de repos qu'elle vous autorise. Il vous fait toucher du doigt les petits moments de beauté et de joie insignifiantes que l'ouvrier s'autorise. Le café et la cigarette de la pause, la petite chanson qui accompagne pendant les longues journées et que, parfois, on n'a même pas le temps de chanter, la solidarité de ceux qui souffrent un enfer commun mais avec lesquels on n'a parfois rien en commun. Il vous dévoile un monde que l'on veut cacher, dont l'on ne parle que pour appeler ceux qui en font partie à encore plus de sacrifices. Il nous offre un véritable voyage dans une terre que l'on ne veut plus visiter et dont l'on devrait pourtant tout savoir pour éviter de ne laisser parler que ceux qui n'en connaissent rien.
# écrit le 01/05/24