Pièce magnifique (titre légitime mais ésotérique) sur un sujet très actuel, la libération de la parole féminine face au viol et à la difficulté de le faire reconnaître, ou même de l'enoncer dans des usages sociaux qui le minimisent, voire l'excusent. Tout le sujet est là, parfaitement incarné par Elodie Navarre qui joue le rôle d'une avocate plus habituée à pourfendre les témoignages des femmes pour ses riches clients jusqu'à ce qu'elle soit abusée elle-même. Le monde des femmes (et aussi bassement du fric et de la justice à deux vitesses car n'importe qui ne peut pas se payer un ténor du barreau) s'ouvre alors à nous, de celles qui osent à peine porter plainte, celles qui s'écroulent nerveusement dans les procédures, celles qui perdent confiance en leurs ressentis par peur de blesser l'autre, celles qui culpabilisent, celles dont la vie est foutue par un mal(e) interieur. J'en dis presque déjà trop, allez voir ce spectacle frappé du sceau de l'urgence et qui rappelle ô combien l'appareil judiciaire et policier est trop empreints de réflexes masculins. La femme ment, c'est évidence, et l'homme est plutôt une quasi victime de ses charmes. Quant au viol, il est à l'insu du plein gré du violeur. Pff. Texte fort de Suzie Miller. # écrit le 29/01/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Très jolie idée de monter et tenter l'énorme roman de Melville en une heure. Ça tient debout, mais le temps passant, l'action se focalise sur la capture de la bête et l'esprit de la parabole se perd, celle de l'innocence d'Israël, de la mer et de la sauvage nature en baleine face au ressentiment, précisément bestial, d'Achab, notre part de Bête en nous. Restent, par la magie du théâtre, de magnifiques scènes de la solitude de l'homme en mer, de cabines enfumées, de brouillards d'outre-tombe, de Caps Horn et de Bonne Espérance dépassés et déchaînés, de navire en perdition, bref de la route annoncée de l'enfer qui s'ouvre entre les flots avant l'apparition du monstre biblique. Il a manqué un peu aux acteurs de la noirceur du tragique. # écrit le 27/01/24
Jolie enfilade perlée de scènes à teneur comique, comme des éclairs dans le temps . Le rapport entre elles peut paraître un peu décousu parfois, mais colle parfaitement au thème d'une mémoire qui s'effiloche et tient à se rappeler "le temps d'une vie", un titre grisâtre alors que le spectacle est pêchu. Les comédiens se tirent fort bien d'affaire, dont particulièrement le truculent Valentin Berthier, aux traits par ailleurs si fins que je l'ai pris pour une fille. # écrit le 26/01/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Très jolie pièce que j'ai vue deux fois. L'argument pouvait sembler people et j'ai eu quelques craintes, mais les relations croisées et compliquées du quatuor Montand, Signoret, Marilyn et Arthur Miller sont traitées ici de façon intéressante, avec des échanges souvent piquants et gratinés, c'est-à-dire qu'on s'y égratigne copieusement . On échappe au papier glacé, au sucre candi et au souffre. Marilyn est présentée en nymphomane au cas désespéré, mais remplie d'audérision dans sa chronique de son suicide annoncé. Montand est un latin nerveux, frimeur (l'acteur est excellent dans le rôle) , au bon fond et complètement dépassé par le poulpe Marilyn qui baise tout ce qui bouge, cause inevitable de la totale lassitude et défection de Miller qui file à l'anglaise (enfin, à l'irlandaise, vous verrez ). Le cas de Signoret est finalement la face sombre du spectacle. Pourquoi coule-t-elle, "pourquoi picoles-tu ? " lui demande même à la fin de la pièce Marilyn, les mettant toutes les deux sur un pied d'égalité dans l'autodestruction alors qu'a priori Simone semblait la plus solaire. À cette question, la pièce semble répondre par 4 personnages qui font ce qui peuvent sans trouver de réelle solution, dans une couleur de solitude quasi existentialiste : on ne s'est pas trouvés. On reste alors très sensible à ces drames qui n'affectent pas que des vedettes défrayant les manchettes, mais qui sont comme le miroir de vies contractées par des maux insidieux. À la réflexion, les deux mâles sont assez absents, même si tout tourne de savoir comment les retenir vraiment . Il y a là comme une critique de la femme condamnée à être séductrice ou ne pas être, mais le spectacle n'insiste pas trop sur cette corde potentielle. Il reste deux femmes ruinées et un festival de traits d'esprit, et Bungalow 21 nous offre un bel instantané sur l'orage. # écrit le 13/01/24
Du grand théâtre. Sur la scène nue et épurée des Bouffes, Valérie Deville s'avance, menue, et déroule. Le pari n'est pas gagné, sa posture est statique, le corps n'est pas athlétique, presque avachi, l'acteur n'apparaît pas tout de suite. Et pourtant..., comme une Pythie se contorsionnant au milieu de fumées ou de mystères entourant l'oracle, sa voix prend, captive, monte en puissance, fascine, mord le public. Car tout le monde s'entend soi-même ou résonne. Elle, c'est voix ventriloque de plusieurs histoires, de plusieurs personnages, pas lointains loin de là , la voix du père, de la mère, de la fille, et, au-delà, de pays respectifs. Le coup de force de ce texte, de cette oraison polyphonique fondamentalement pacificatrice (un flot de mémoire à la Duras , mais avec un solide appétit de vivre) est de faire joindre les histoires à l'Histoire, et de relever nos histoires, très banales dit-on, au même degré de dignité que la grande Histoire. Tous nos gestes deviennent la Geste sous une telle diction, et Valérie Dréville magnifie ce qu'écrit Claudine Galéa, quintessence de ce portrait de soi à la française, de Sarraute à Ernaux, sur le mode propulsant et provocateur de la représentation théâtrale. Petit à petit, le puzzle prend corps, bribes après anecdotes, bout d'airs de Sinatra après flashs à l'hosto, et c'est notre monde qui apparaît, ce " je" fait de nous traversé, et en constant dialogue avec des générations d'histoires. Le "je" est provisoirement et jovialement dépassé dans une rencontre de la fourmilière généalogique, des faits et gestes à double ou triple sens, aux destins en tiroirs, ici ouverts dans une émancipation réparatrice. Mais sans psychanalyste, juste dans la virtuosité d'un texte à l'image de notre complexité et faisant remonter les scories, les césures, les syntaxes, tordues dans tous les sens, et par l'empoignade d'une actrice extraordinaire. Bluffant, bravo à ce brio viscéral. # écrit le 13/01/24
Beau spectacle à la Folie Théâtre encore. Très bonne idée de Frédéric Gray, présent sur scène, d'avoir converti en pièce cette nouvelle inquiétante de Maupassant, quasi dostoievskienne avant l'heure. Deux acteurs font tous les personnages, le principal et les autres, dont l'Autre, chiffre qui n'est ni un ni trois ni quatre, mais, et c'est bien trouvé, le deux du double, personnage bicéphale qui fait la pièce. C'est, du coup, fort bien joué, rythmé, les travestissements, pittoresques ou dantesques se savourent, sans l'écueil toujours possible dans le seul en scène, et ici l'acteur principal, Guillaume Blanchard, ne chôme pas sur l'énergie déployée. Le sujet est noir, vous le savez sans doute, et l'issue implacable. Bravo aux deux compères. # écrit le 11/01/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
J'ai assisté à la dernière, salle comble. Quelques petits clichés (air de Carmen), mais il faut bien un dénominateur commun qui fasse démarrer au quart de tour. Spectacle plein d'énergie communicative qui, au demeurant, ne se focalise par sur le chant mais déborde sur la vie de tous les jours et aborde de multiples thèmes de manière comique. Quelques scènes de date façon Tinder désopilantes.Matinée théâtrale très enjouée.Lys Santellani déborde de joie de s'exprimer et veut le faire partager à tout le monde ! # écrit le 07/01/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
J'ai eu le plaisir de voir cette pièce deux fois, la dernière étant inopinée. Je reste enchanté de la qualité de cette jeune troupe qui sort apparemment du cours Florent. Le sujet n'a rien de nouveau par rapport à ce que chantait déjà Diane Dufresne en 1978 dans " les adieux d'un sex-symbol " de Starmania, mais ici remis à la sauce du jour, version destin brûlé d'une étoile de la chanson passant par la Fashion Weeks et soumise en plus aux diktats du mannequinat, avec le combo voix d'or, chorés, corps de rêve, clips, fric c'est chic et tous produits dérivés. Tout s'est quand même profondément accentué depuis internet et les réseaux sociaux, et ce petit monde artificiel de la mode n'a rien de bien intéressant, si ce n'est qu'il faut bien en tenir compte quand on sait les millions générés, l'attrait sur les non moins millions de jeunes gens et le poids des images véhiculés par des gros porteurs comme, par exemple, Madonna, Lady Gaga , Beyoncé ou le couple Beeckham, des anciens déjà. Ce sont bien des " modèles " au deux sens du terme. Notre jeune troupe décrit avec grande précision et une grande maturité cette univers. La compétition, acharnée entre filles, les coups bas et les coups de putes, le désarroi intime comme l'effroyable vanité, les paradoxes de la gloire et de l'inanité sont extrêmement bien rendues. Les sommets de l'audimat semblent couplés à l'impossibilité d'être soi, d'où une course entre chavirements et coups de boost. Chapeau aux scénaristes et à l'actrice principale Nancy Loïs pour toute l'étendue de son registre, de l'effondrement mental au pur cannibalisme de l'ambition, du besoin d'amour à la sécheresse de coeur, mais tous les comédiens sont également excellents : le répétiteur de danse highly qualified, la fausse bonne copine vacharde, l'impresario vaniteuse maîtresse de la com, etc. Le spectacle est donc extrêmement homogène et ajoute à cela une touche nord-américaine avec des acteurs aux corps athlétiques qui savent chanter, danser, un plaisir tant que cela ne devient pas une norme (qu'on nous laisse des Jugnot ou Balasko). La scénographie et la mise en lumière est très ingénieuse et belle avec une grande économie de moyens, bref c'est inventif. Chorégraphies et chansons sont à l'avenant et la succession de multiples scènes, finalement poignantes, entre la star, son amant, sa rivale, sa patronne et sa groupie mettent au jour un désordre du coeur diabolique et une machine à cash fatale. Bravo à Nancy Loïs, Ambre Lhomme, Marko Filipovic, Delphine Macia, Andréa Furet et aux auteurs masqués sur scène (mais aux drôles apparitions) Johannes Colin et Victoria Corda. Je recommande chaudement de soutenir cette troupe et ce spectacle décapant, pouvant être très épicé dans ses répliques, sex-symbol oblige. Cela reste une pièce du monde d'aujourd'hui. Bravo aussi à l'acteur qui a composé la musique, fort bonne. # écrit le 05/01/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Pierre Arditi et Muriel Robin ont été absolument remarquables dans cette pièce en valse-hésitation entre réalité et fiction, entre scénario réellement existant et pure hallucination d' acteurs égarés, comparable à " Un léger doute " à l'affiche à la Renaissance. Ici, dans le superbe théâtre Edouard VII, les deux compères jouent à merveille deux parties, l'une dans laquelle le public est assumé être là (la scène se passe dans l'appartement de Pierre Arditi qui joue son propre rôle) et en compagnie duquel il va falloir " faire avec " dans une cascade de gags et d'évitements ratés, l'autre où la santé mentale des protagonistes est mise à partie. Cette bascule de comique à tragique nous vaudra de magnifiques confessions de foi d'acteurs et sur le métier, à double-sens puisque nos comparses s'auto-décrivent (dans la première partie, Arditi, fera sans détour allusion à ses problèmes de santé et à ses deux sorties de scène pour malaise, et dira, sur un ton badin et plaisantin, qu'il " pense aller jusqu'à la fin " du spectacle), et qu'il faut bien espérer non testamentaires puisqu' Arditi a donné l'impression de délivrer là comme un chant du cygne alors qu'à côté de lui, jouant à merveille, mais chancelante, Muriel Robin contenait à grand peine sa visible émotion. Une standing ovation, bienvenue et très motivée pour cette fois, a salué ces deux comédiens qui ont vieilli, mais fort bien et qui sont toujours alertes. Robin a été excellente dans un registre sérieux que je ne lui connaissais pas. Le personnage du spectateur pris au hasard, par contre, n'est pas crédible et fait bien trop professionnel, c'est un peu dommage et perfectible aisément. # écrit le 31/12/23
Dans cette toute petite salle du 15e, Christophe Charrier nous offre un moment de théâtre juste avant de partir pour Avignon. Du théâtre plus qu'un seul-en-scène puisqu'il fait défiler plusieurs saynètes qui n'ont de commun que l'addiction. De plus, il joue masqué façon commedia de l'arte, ce qui renforce l'aspect confession dite par un Pantalon blasé devant un public SOS Amitiés. La performance est à saluer, mais une scénographie plus active en renfort ne serait pas de trop, au risque sinon d'une monotonie car le jeu expressif des traits du visage est perdu et que les addictions décrites sont plutôt glauques. # écrit le 31/12/23 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com