Pari très risqué fort bien tenu. Constance Noujaim et Frédéric Thérisod ont été parfaits dans cet exercice difficile de manier du Duras, c'est-à-dire le parler sans emphase, et le jouer sans raideur. Tout en même temps le peintre et le modèle, le client et la courtisane, l'amant furieux et l'idole mystérieuse, les deux acteurs au Théâtre L'Essaïon ont laissé passé le désespoir existentiel, l'érotisme torride, le continent inconnu qu'est l'Autre, la délectation du regard, l'échange tissé qui bat de l'aile mais se construit entre apparente domination, apparente soumission et percées de la jouissance. Un texte magnifiquement dit et enregistré accompagne le jeu pudique et effronté des acteurs, le vertige des plaisirs de la chair et des failles ontologiques au creux du désir. Quand l'amant.e s'évapore, il reste le hurlement vibrant. La différence d'âge des acteurs, si agréablement non politiquement correcte, entre la fine et espiègle catin aux formes parfaites et l'homme mûr ivre d'expérience et d'autorité n'est pas pour rien non plus dans le succès de cette mise en scène qui renvoie corps contre corps un homme et son Sphinx. # écrit le 21/06/24
Joli spectacle en miroir, au Théâtre du Rond-point, entre un père et un fils du même métier, le cirque, et que tout assemble, visages comme bagages, d'où le leitmotiv du titre, un sono io ? récurrent et tour à tour interrogatif, ou affirmatif, ou transgressif, ou simplement transgénerationnel (depuis 7 générations de clowns est-il rapporté d'un ton biblique ). Ce spectacle développe l'art très difficile et pince-sans-rire de numéros foirés et y parvient très bien, non sans lenteurs par rapport à d'autres pièces équivalentes, notamment une troupe russe qui passa fugitivement à la Cartoucherie l'Epée de bois en performance film muet, pas une parole et catastrophes à répétition (L'attrapeur de rêves d'Oleg Savchenko et Kostya Novytskyi). La tension monte cependant progressivement et les numéros acrobatiques de la seconde partie sont non seulement des prouesses mais des moments très poétiques. Des voix d'enfants enregistrées et diffusées discrètement ajoutent à ce parfum de cirque archétypal qui double les souvenirs épars du père, cirque qui poursuit sa route vaille que vaille, de mode en mode et d'artiste en artiste différents, et qui construit, avec nous spectateurs, dans une mémoire limbique, cet espace familial connue depuis la prime jeunesse et contact direct avec l'émerveillement et la bouffonnerie, cet autre face du monde qui sonne si vrai où l'apesanteur est domptée , comme les animaux, et où les bêtises du clown sont des libérations. Viva il circo ! # écrit le 16/06/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Spectacle décevant pour qui connaît un tant soit peu les efforts titanesques pour développer une danse contemporaine depuis les années soixante, qu'elle soit d'obedience post modern dance, ou vernaculaire à l'Europe ou fascinée par l'Extreme-Orient ou encore la street. Ici, rien de tout cela, un peu de terre battue au sol et une ambiance vaguement chamanisme ne font pas du Pina Bausch, loin de là . Pas de scénario, pas d' inventivité des mouvements qui font les délices des meilleurs plateaux parisiens ou franciliens, même une petite fille danserait mieux avec plus d'énergie, de créativité, de peps, et moins d'autocentrage . Mais qu'a-t-il pris donc au théâtre des Mathurins ? Il est facile d'aller à Chaillot, aux Abesses, à la Villette pour voir où en est la danse même quand on n'y connaît pas grand chose. # écrit le 14/06/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Étonnant spectacle que ce Blanche-Neige qui sied à la salle Grande Folie de la Folie Théâtre. De cette foldinguerie qui recycle Disney avec histoire de nostre France à la crème Chambord et campant Françoué 1er le pas peu fier de lui , on retiendra surtout les incroyables acteurs-chanteurs qui égayent cette comédie musicale de très jolies mélodies qui ne rougissent pas devant les meilleurs opéras-pop actuels. Bonne soirée en perspective, vous serez surpris, petits comme grands. # écrit le 13/06/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Spectacle tout public, et je n'ai pas dit grand public, à la Michodière pour ce spectacle très enlevé où tous les artifices théâtraux sont à l'oeuvre. C'est très bien joué, ça pousse même la chansonnette, ça danse, les décors représentant des continents divers et un fatras de situations insolites se succèdent facilement avec aisance et astuce. Ce moment de théâtre par plateaux, régulièrement formule et machine à cash pouvant être pesantes , est ici bienvenue car la vie d'Agatha et celles de Poirot sont trépidantes. Elle en aura vu la pauvre, que de revers, d'aventures, et quelle trempe ! Derrière les présentations facétieuses et les plaisanteries se déroulent aussi sous nos yeux les affres des deux conflits mondiaux, la perte des êtres chers, les rationnement, la vache enragée, le Blitz. Inébranlable sous les coups , en écrivaine qui s'ignore totalement, mais sent une vocation qu'elle a du mal à déterminer , Agatha trace sa route en jonglant avec les imprévus et un flegme tout ou trop british. Un vrai roman qu'on espère pas trop trafiqué par Cristos Mitropoulos et Ali Bougheraba, fervents de biopics, pour nous caresser dans le sens du poil. Les acteurs rendent merveilleusement justice à une tête de mule et à ces trois quarts de siecle éprouvants où surnage l' envie d'écrire coûte que coûte. # écrit le 09/06/24
-Deux brutes de décoffrage et dentelle de sentiment
10/10
Face à face, au Théâtre Montmartre Galabru, de plus en plus émouvant entre deux êtres que tout semble séparer via une annonce sur une appli de rencontre. Le résultat est décoiffant et imprévisible entre lui, veule et apparemment inconsistant, et elle, prostrée et en demande, un rien dirigiste. Les performances d'acteurs sont splendides, et les bons mots font mouche, avancant par demi-touches et revirements vers le final bouleversant et incroyable qui emporte par l'intrusion d'une autre dimension artistique. Chut, je n'en dit pas plus, mais allez voir cette pièce si humaine où l'affrontement donne de si beaux fruits. Du très beau théâtre d'acteurs qui soulèvent un scénario subtil et bien écrit. # écrit le 09/06/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Très bon divertissement au Théâtre du Marais, c'est rondement mené et volontiers potache, pourquoi s'en priver ? Ça fuse de partout, aucun temps mort, beaucoup d'idées scéniques, un rythme effréné, la patate , vous ne pourrez qu'en sortir ragaillardi. Bravo aux trois compères. # écrit le 09/06/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
M Motobecane À couper le souffle Un texte d'une beauté qui laisse sans voix dans l'interprétation de Bernard Crombey, son auteur. Le langage est fort châtié et ne correspond pas tout à fait, dans son soliloque si fleuri, à l'univers frustre d'un Nord de la France bouseux, alcoolo, laissé pour compte, analphabète auquel il renvoie, pourtant il a valeur d'hyperbole pour désigner ce monde facilement identifiable, et géographiquement répandu un peu partout, fait de dénuements en tout genre, de misère, de vies silencieuses et brimées, de pauvreté et de violence, de garçons et filles sorties trop tôt de l'école et sans horizon, de campagnes isolées éloignées des villes, etc. Est-on idiot pour autant ? Non seulement Bernard Crombey donne voix ou se fait porte-voix de ces vies furtives et silencieuses dont l'intimité nous est rarement rendue publique ou audible, mais en plus il en recèle et secrète des affects secrets, les moments poétiques et fait parler ces muets, morts-nés sociaux, ces invisibilisés. On a aucune peine à encaisser la véracité et la cruauté de ce conte tout imaginaire, car si réaliste et si plausible , mettant un scène un pauvre bougre vivant de petits métiers d'autrefois et ébloui par la rencontre d'une gamine battue qui illumine son existence dont il prend d'un coup dans la poire la dimension désertifiée, un peu comme un Valjean sous anesthésie tombant sur une irresistible Cosette. Le reste, l'ouverture à une vie autre que solitaire, "familiale", les instants de complicité, l'émerveillement devant la poésie de l'enfance, puis le raffut dans le Landerneau, la bêtise crasse de la maréchaussée et des juges, si tout cela n'est pas acquis, n'est ni un témoignage ni un véridique fait divers, il n'en forme pas moins un splendide contenu de vérité, comme Stendhal magnifiera un procès de province rapporté par la presse dont il fera un affrontement et un symbole d'injustice sociale sous le personnage, lui aussi incompris et injurié, de Julien Sorel. Que cherche exactement Bernard Crombey ou son inspirateur peut-être plus lointain Paul Savatier, auteur du Ravisseur, je n'en suis pas sûr, mais au moins fait-il sauter les préjugés sur ces gens qui ne sont rien, qui ne sauraient sentir rien, sinon les plus basses pulsions, ces "sans-dents" pour employer le langage aimable d'un ancien Président de la République, ces probablement demeurés. Quoique nous n'ayons jamais mis les pieds dans ce décor désoeuvré, Bernard Crombey, ce soir au Petit St-Martin, aiguise notre humanité. Qu'il en soit remercié. # écrit le 02/06/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
De belles chansons dans le cadre ultra intimiste de l'Appart, à deux pas du Conservatoire de Paris . Emma a raison, qu'importe les tergiversations des producteurs, l'important, c'est la musique et en faire en toute condition météo, et contre vents et marées s'il le faut. Le récit de ses tribulations est hyper spont et rafraîchissant, et son énergie contagieuse. La soirée fut très agréable et ce concept de " passons un moment ensemble" original. J'ai eu une réserve pour le clavier utilisé qui m'a semblé borner les mélodies, par manque de richesse de son probablement. Je vois relativement souvent des spectacles musicaux ou de cabaret, et c'est la première fois que cette remarque me vient à l'esprit. Emma, on ne lâche rien, la musique, c'est déjà maintenant, et les succès, les vicissitudes sont importants, mais pas l'essentiel. Vous avez satisfait votre public. # écrit le 02/06/24
-Autoportrait de l'artiste Rembrandt façon comedien sur les planches
10/10
Très beau scénario sur une vie de Rembrandt. Sans avoir idée vraiment si le tissu est véridique, on se laisse emmener, dans une salle de poche du Théâtre L'Essaïon, dans l'intimité du peintre et des enjeux financiers et artistiques entre la Leyde, ville natale, et l'Amsterdam, incontournable pour les commandes. Rembrandt est fils de juif qui cache son judaisme tout en prêchant ses principes éthiques au fils si évidemment doué dont la carrière prend son envol. Père et fils sont différents, mais dialoguent dans la tête de Rembrandt jusqu'au soir de sa vie dans un aller retour entre les frasques de Rembrandt le Magnifique et ses questions posées au père, plus réservé et confit d'usages, le plus souvent le Pater Magnanime. Car la vie réservera bien des sorts à cette forte tête de Rembrandt et que nous suivons dans la douleur. La mort, les deuils, les épidémies, impitoyables à l'époque, la solitude du génie incompris, les incertitudes économiques, tout ce qui est le reflet négatif du Rembrandt force de vie, flambeur, jouisseur, aimant les femmes, n'aimant pas la routine dans l'Art. Rembrandt n'aime pas non plus le Bourgeois qui le fait vivre et revient très lentement à la communauté juive qui se planque comme elle peut. La pièce dessine, dans un noir d'encre rappelant la prose et les temps de l'Oeuvre au noir de Yourcenar, un artiste qui vit pour son art et sacrifie tout, non sans l'atrocité de la perte des êtres chers. Cette âpreté d'une vie en bolide est fort bien rendue par des dialogues, sur le ton de la confidence par la douceur de la statue de Commandeur qu'est le père, par les éclats de voix emportés du fils obnubilé par le sublime et par une violoniste qui endosse quelques rôles et enchante par sa basse continue qui fait sourdre l'immensité des peines et épreuves que fils et père à l'intérieur du fils ont dû affronter pour devenir et rester Rembrandt. Eric Belkheir, Christophe Delessart, Consuelo Lepauw sont très convainquants. # écrit le 01/06/24