Magnifique épopée à la Folie Théâtre autour du tableau Mona Lisa. Le début m'a paru un peu lent et peut-être avais-je la tête pleine du succès du Testament Medicis, sur le même sujet au Théâtre Lepic, que j'avais vu deux fois avec enchantement. Mais le texte de Vanessa Brigitte part très vite sur d'autres travées que celles de Stéphane Landowski, et entraîne dans les entrailles de l'atelier de Léonard et d'une rencontre imprévu avec un déconcertant modèle féminin, femme d'un riche marchand et prétexte d'une commande au roi de France qui pourrait bien arranger les affaires de l'inventeur tout azimut. Sous les coups de butoir de l'imprévisible et irascible apprenti et enfant adoptif du Maître, Salaï, et dans un climat de concurrence effréné avec Michel-Ange, Mona Lisa deviendra une Madone bien particulière qui surprendra tout le monde, y compris elle-même. D'où ce sourire qui fait couler tant d'encre. Le jeu théâtral en devient succulent, molieresque, tout en nous donnant foultitude de détails sur l'époque et la hardiesse et l'originalité de Léonard. Face à Face, Leonard et Mona Lisa sortent de leurs gonds, et il en va de même entre les apprentis, entre le marchand et sa femme, entre Leonard et Salaï. Personne n'est blanc ni noir, les personnages ne se comprennent pas forcément entre eux, mais la pièce décrit un formidable compromis pour se dépasser, se libérer et faire aboutir un chef d'oeuvre que tout semble voué à être tué dans l'oeuf. C'est un hymne au courage d'être, et une formidable occasion pour des coups de théâtre gratinés et des travestissements loufoques . Bravo à Vanessa Brigitte, également présente sur scène, et à Eric Moscardo, Antoine Gheerbrant, Giacomo La Rosa, François Podetti. # écrit le 31/05/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Mirbeau est souvent noir et n'a pas dérogé dans ce classique au vitriol qu'Eliane Kherris a condensé en un seule-en-scène, au théâtre Darius Milhaud, où elle est brillante dans la mélancolie et le regard désabusé sur les inégalités sociales d'une gouvernante qui traverse la France pour des prises de poste intermittentes. Assez pour voir l'imbecilité des riches et la servitude volontaire des pauvres et des domestiques. Dans ce texte explosif où perce comme une révolte révolutionnaire ou pré-révolutionnaire, l'atmosphère oscille entre affrontement de classes et échappée solitaire, écoeurement et remarques espiègles, envie de rouler dans la farine les richous et sursauts d'intégrité et d'honneur devant ce monde horrible, avec une croyance fragile en une possibilité de bonheur comme une flamme de bougie dans une chambre de soubrette . Eliane Kherris a été parfaite dans ce compte-rendu d'une boniche qui compile méticuleusement et avec sagacité l'aliénation, la perversion et les rares moments de paradis possibles. # écrit le 26/05/24
Magnifique moment de pur théâtre pur à l'ABC entre deux acteurs dont le tandem ne se lasse pas de nous surprendre par ses aplombs délirants, ses divagations, ses scenars oniriques, ses moments d'improvisation, sa charge de douleur humaine. Framboise Sirot et Philippe Bataille ont été étincelants, et dans cette salle de poche ont donné toutes leurs lettres de noblesse à l'art de la composition en trois secs et filée. Bravo ! # écrit le 26/05/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Eleonora Galasso offre un seule-en-scène très particulier au Studio du Théâtre des Mathurins. Au premier abord, un cours de cuisine italienne, un rien binaire où s'affrontent mutuellement des clichés, et pas mal de vérités culinaires, sur les psychés et les cuisines italiennes et françaises (comme si on n'avait pas l'esprit large pour pouvoir apprécier et embrasser les deux). Puis d'incroyables incartades dramatiques, et fort bien interprétées, ayant pour trait des scènes de la vie conjugale, je n'en dirais pas plus. Petit à petit se dégage le sentiment que la cuisine, ou que par la cuisine, se forme le lieu où se parlent ou se sont dites les choses importantes de la vie. Ce concept très original ouvre une porte supplémentaire à l'espace théâtral. Allez soutenir Eleonora et mangez ses propos all'dente, elle a le sourire du vendeur italien qui vous enrobe, voire qui vous baratine et vous enfume en artiste, et ce je ne sais quoi de la fracture intérieure qui vous bouleverse. # écrit le 24/05/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
-London Bridge is falling down, falling down (my dear lady)
10/10
Magnifique seule-en-scène, ou plutôt deux-en-scène au Théâtre de Belleville. Iman Kerroua arrache les tripes dans ce récit poignant qui part du portrait d'une femme refroidissante, une trader sans pitié de la City, pour remonter la bobine du fil, ou la bobine du film, de son passé. Pour tout dire, la boursico-jem'lajouewinneuse pète les plombs sur le plateau, et le spectacle est son hallali, son burn-out, son auto-dissolution en mode glouglous d'un Titanic qui sombre. On est accroché et ému par le retour, par à-coups, par hoquetements visceraux, à l'evocation de l'enfance où est côtoyée la pauvreté, mais surtout le déséquilibre mental d'adultes, d'où un vertige du vide, la perte de sérénité, la tentation du gain +++. Je n'en dis pas plus. Ce spectacle est vraiment particulier par sa mise en oeuvre de théâtre musical car le percussionniste y tient un grand rôle et orchestre une savante résonance des propos exprimés, les amplifiant. On n'est plus très loin d'une forme opératique savante. Dogan Poyraz est merveilleux de discrétion et d'implication dans ses transpositions subtilement recherchées qui évoque une rhétorique de musique contemporaine. Une éblouissante soirée dans cette salle qui a vu passer un grand nombre d'excellentes pièces . La résurrection est au rendez-vous. # écrit le 18/05/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
J'ai eu la chance de voir à deux reprises au Théâtre de l'Atelier cette extraordinaire conférence en mode techno (technique) fumeux et complètement délirante. La salle se tenait les côtes, et on s'imagine Buster Keaton à la tête de Greenpeace pour aborder un sujet d'anthologie/écologie. Et il n'empêche que malgré les têtes à queue (de morue) les plus farfelues, le sujet du climat est bel et bien abordé. Frédéric Ferrer est brillantissime dans les digressions saugrenues d'un cinglé encyclopédique et trop pointu sur le sujet, et qui n'en finit pas de convaincre et de s'époumonner dans un déluge d'arguments et une allure de Woody Docteur ès Pataphysique à la Sorbonne. Tout cela relève d'un art savant du second degré et du faux sérieux, et dès les cinq premières minutes le fou-rire est irrésistible devant les faux pas et les glissements sur peaux de banane de ce gentil allumé devenu chercheur auto-proclamé. On suit avec bonheur les circonvolutions de ce château de cartes dont tout l'édifice est branlant, lequel a dû demander des heures de répétitions à Ferrer pour tisser ensemble bouts de vérités (car rien n'est faux et même passionnant et fort documenté dans ce marasme de raisonnements faits de bouts de ficelle) et un art pince-sans rire de s'auto-détruire par l'absurde ou le too much qui va produire (ce n'était pas gagné) des contre-réactions du public gagné par le loufoque. Le résultat est désopilant et jouissif. J'en redemande vraiment des powerpoints de ce niveau stratosphérique qui nous renvoient à l'abus du jargon comme au cataclysme écologique. De l'art de sensibiliser à la cause par le comique, chapeau ! # écrit le 11/05/24
Excellent ! J'y étais allé un peu dubitatif, Maillan n'étant ma tasse de thé, mais toujours curieux de la programmation de la Scala et ne sachant pas grand chose à vrai dire sur cette reine du boulevard. Allons donc pour ne pas mourir idiot ! Divine surprise, la vie de Maillan est passionnante, le personnage truculent, et l'hommage qu'en fait Mathilde Charbonneaux dans un très astucieux jeu de miroir et son double (elle qui joue Maillan qui se réincarne pour ainsi dire en elle jeune comédienne et les deux qui dialoguent) est une savoureuse performance théâtrale. Allez voir ce spectacle sans hésitation. D'ailleurs, on y parle réunification, non des Corées comme chez Pommerat, mais de tous les courants théâtraux dans une incroyable rencontre Maillan-Chereau-Koltès . Mathilde/Maillan sont impayables ! # écrit le 11/05/24
-De belles reprises et une actrice-chanteuse à soutenir
9/10
Spectacle très sympathique et punchy au Théâtre Clavel de Paris pour une seule et unique représentation. C'est un mélange de stand-up et de tours de chant. La comédienne a une très belle voix qui lui permet de reprendre nombre de standards récents avec succès (et même un indémodable ABBA). Le public se situe nettement entre 20 et 30 ans et tout est dans le titre. Il n'empêche, le jeune âge sait tout autant formuler des piques pertinentes sur les affres de l'amour dans un mélange de blagues salaces et de tendres émois. Mise en scène bien vue qui a galvanisé une salle complètement acquise dans une ambiance I will survive. De nombreux clins d'oeil générationels ont dû m'échapper, mais, au théâtre, il toujours jouissif de fouiner partout et de voir que des spectacles sont marquants pour un certain nombre de personnes et forment un jaon identitaire. Dommage que ma fille de 18 ans n'ait pas été là. # écrit le 09/05/24
On s'emballe devant ce concentré! Savoureuse soirée cabaret aux Enfants du Paradis avec les Caroline. De l'entrain, de l'humour, des rengaines de toutes les époques, et plutôt des bien épicées d'autrefois (comme quoi on savait parler de ça sans détour et de façon cocasse), un pianiste-chanteur au poil, et vous avez une matinée gouailleuse du tonnerre de Brest. Ou de Pigalle. Ces dames qui ne sont pas des débutantes se contrefoutent des années qui passent et passeront et nous ont donné une fière leçon de vie. Chanter, toujours chanter, rire de tout, et quel répertoire choisi et étonnant. Je suis sorti avec le peps. Merci les rossignols et le pianiste de caveau jazz. C'était une synthèse de l'esprit Paris. # écrit le 06/05/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Buenos Aires 1920 Partir Après des débuts hésitants, et un peu grandiloquents, peut-être dus au trac des premières, l'histoire quitte l'aspect convenu du polar et réglements de compte dans les bas-fonds de Buenos Aires pour devenir une poignante fresque des douleurs de l'émigration économique, ici espagnole et italienne. On comprend alors la superposition de grossièretés et d'envolées lyriques qui d'apparemment ampoulées deviennent significatives et laissent sourdre un bel canto. C'est un opéra social de la douleur qui se joue. Les affres de l'exil, le changement d'identité, la vie parfois sans papier ou ne tenant qu'à un seul fragile laissez-passer, le mépris affiché par le pays d'accueil, les conditions infernales du transfert, les boulots ingrats sont très bien rendus. Eldorado et perte des illusions, soif de réussite et vies fracassées rappellent un climat comparable aux Raisins de la Colère tout en maintenant, et la pièce se dirige de plus en plus vers cette veine, le tonus de cette folle énergie de vivre sa vie, de partir pour un monde meilleur et l'offrir à ses enfants. Des dégâts des illusions surnage surtout la volonté de reconnaissance et l'amour inconditionnel des siens pour qui l'on est prêt à tout, partir et se défigurer s'il le faut, se balafrer. Cette fresque est très réaliste est émouvante en ces temps de migrations désastreuses et nous éclaire sur des drames d'autrefois. Venez soutenir cette pièce qui fait réfléchir avec les très convainquants Anne Hardel, Michaël Msihid, Mathias Kellermann, Sébastien Rajon et Raffaele Salis. # écrit le 02/05/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com