catherine175

Théâtre contemporain: Les mouettes d'Etretat

-Magistral
Il y a l'histoire, poignante, mais plus encore le jeu des comédiens qui m'a frappée dans cette pièce. L'histoire, c'est celle de l'éternel combat du bien et du mal qui installe la pièce sous le signe d'une oppressante dualité, celle de la vertu et du vice servie par un duo remarquable, incarnant deux âges de la vie, la fougue dangereuse de la jeunesse face à la " sagesse " de l'âge mur, représentés par deux classes sociales aux antipodes, prolétariat et bourgeoisie. Le talent de Bernard Sinclair, c'est la justesse et le naturel de son jeu qui par une économie de moyens nous fait pénétrer dans la profondeur de son intériorité. Ce fut là pour moi tout le plaisir de cette pièce. Par un tour de force, il fait éclater la frontière entre la scène et la salle. Il s'affranchit de l'artifice du personnage qu'il déjoue ; Henri semble là, sous nos yeux, hic et nunc, appréhendé par une identification directe, non médiatisée, que renforce la proximité de la scène dans cette salle très intimiste du Guichet Montparnasse. Bernard Sinclair ne joue pas, il est habité, une qualité rare qui rappelle celle de Michel Bouquet. L'émotion nous gagne, tant par la prouesse physique d'un corps que son partenaire n'hésite pourtant pas à éprouver que par la maîtrise parfaite des mots qu'il domine. Henri, figure christique, tel que l'affiche du spectacle le laisse deviner, s'oppose à Mohamed, avec qui il partage la cellule. Le jeu du partenaire est excellent, par sa rage et sa cruauté qui contribuent à l'intensité du huis-clos et maintiennent le spectateur haletant jusqu'à la fin. S'il malmène Henri sans pitié, on apprécierait cependant qu'il gagne en modération, avec moins d'emphase. On aura plaisir à revoir ce duo que l'on espère redécouvrir dans un registre peut-être un peu moins sombre. L'écriture du texte, fluide et précise, drôle et incisive, est celle de l'attente savamment orchestrée d'un aveu. La fin, à la fois attendue et redoutée, laisse sans voix et emporte avec elle le mystère de cet aveu. Nous en sommes sortis émus et conquis.
# écrit le 18/03/15