-de l'inocuité de l'horreur... En premier lieu est le chef d'oeuvre de Robert Antelme, un des livres incontournables en terme de témoignage sur la déportation. Ensuite vient la tentation de transposer l'oeuvre, dans le but légitime de la donner à entendre à un public qui aurait pu passer à côté du livre. Une intention louable a priori. Claude Viala, la metteure en scène, base d'ailleurs sa démarche sur ces deux axes : "Ce qui m'a frappée en lisant et relisant ce texte, c'est que j'avais l'impression del'entendre. Il me semblait qu'il était fait pour être dit à voix haute et entendu". Sur ce point, Claude viala a vu juste : tout lecteur de "l'espèce humaine" ressent probablement, à un moment ou un autre, l'envie de lire à voix haute. "Le théâtre permet cela, d'être ensemble, de se reconnaître, de comprendre et de prendre des forces pour ce qui est à venir". Et c'est là, il me semble, la grande limite de la démarche. Parce que "l'être ensemble" du théâtre ne va plus de soi aujourd'hui, et ne prend sens que dans la mesure où le dispositif de la pièce incite les spectateurs à une immersion dans le spectacle. Or, sans remettre aucunement en question la performance des comédiens (et encore moins le texte), il faut bien reconnaître l'évidente limite de ce spectacle : en tant qu'il donne simplement à entendre, à plusieurs voix, des tranches de vie du calvaire de Robert Antelme, nous sommes d'un bout à l'autre témoins extérieurs d'une horreur qui nous est en définitive étrangère. Le problème est hélas consubstantiel à l'exercice de la lecture jouée. Autant l'acte de lecture peut créer un lien intime entre le texte et son lecteur, par la rumination intérieure qu'il produit à partir des mots de l'auteur, qui viennent imprégner la conscience, autant la position de spectateur/auditeur de ces mots nous met dans une position paradoxale : celle du spectateur de mélodrame, qui va sortir du spectacle avec une émotion qui lui fera dire "ah la la, c'est terrible, le calvaire de ces hommes", ou encore "c'est fou, ce que des hommes sont capables de faire à d'autres hommes". Certes, mais en 2005, c'est un peu court. Et c'est là finalement la clé du problème, qui dépasse de loin ce spectacle en particulier : sans aucun doute, les témoignages écrits sont vitaux en tant que matériau de la réflexion individuelle et leur existence doit à ce titre être éternellement rappelée. Mais pour autant, leur simple transposition au théâtre ne présente plus aujourd'hui le moindre intérêt : d'une part parce que cette transposition ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà, et d'autre part parce que le théâtre se doit d'expérimenter sur le sujet des formes qui génèrent des questionnements nouveaux. Mais c'est un travail plus long, plus difficile, et qui ne recueille pas systématiquement la bénédiction des organismes chargés de veiller sur la mémoire de la shoah. Claude Viala apprécie Robert Antelme, "résistant jusqu'au bout, témoin à la fois de l'inhumanité dans l'homme mais aussi de l'unicité, de l'indivisibilité de l'espèce humaine". Soit. Mais cette indivisibilité, loin d'aller de soi dans le monde d'aujourd'hui,mérite d'être questionnée en mettant en regard des textes antagonistes, une époque et une autre, et surtout en créant des personnages tiers, actuels, sommés de s'interroger et de se positionner. C'est à ce prix seul que le spectateur pourra produire, à partir d'émotions douloureuses suscitées par un spectacle, une réflexion autonome et libre. # écrit le 14/04/06 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Certes, l'adaptation du texte, pour autant qu'on puisse en juger puisque la pièce n'est pas traduite en français, n'est sûrement pas exempte de défauts (Dialogues parfois approximatifs, un "trou" dramaturgique au troisième acte qui alourdit une fête dont l'ambiance est pourtant bien portée par les acteurs, ...). Certes, les costumes et le décor souffrent d'une absence de parti pris clair (la scénographie moderne n'est pas là juste pour illustrer, mais bien pour faire sens me semble-t-il); l'intérêt du côté kitsch des costumes n'est pas non plus très évident. Certes, la mise en scène traduit des arythmies pourtant évitables, notamment du fait d'une direction d'acteurs aux abonnés absents. MAIS... Compte tenu de cet ensemble de défauts qui seraient pour le moins rédhibitoires, le spectacle tient néanmoins la route et l'on a vu bien pire, parfois même dans des théâtres réputés. La raison en est simple : les acteurs sont généreux et semblent avoir tiré à eux le spectacle, compensant les faiblesses de la direction d'acteur par un bon sens et une sincérité qui produisent souvent de bon résultats. On ne peut certes pas demander aux comédiens d'ordonner "de l'intérieur" les scènes chorales, mais en ce qui concerne les scènes à deux et les tirades, on est tantôt amusé tantôt ému. En conclusion, ce qui manque surtout, et qui relève clairement de l'intention de mise en scène, c'est la profondeur et la violence de la peinture sociale de cette petite-bourgeoisie finissante. Un spectacle à voir pour les acteurs, qui nous font adhérer aux préoccupations de leurs personnages, tantôt futiles tantôt dramatiques. # écrit le 24/01/06