C'est dans ce lieu inattendu que le séducteur mythique, tel Sisyphe se jouant des dieux, est condamné à revivre indéfiniment les derniers moments de sa vie. Sganarelle, son valet et compagnon d'infortune, est entraîné dans ce cruel jeu de dupe(s), et se voit contraint bien malgré lui, d'incarner chacun des personnages de l'histoire pour mieux servir son maître décadent. La légende se donne alors à voir en spectacle, telle une suite de numéros féroces et grotesques, de situations décalées - voire surréalistes.

Les deux comédiens interprètent avec jubilation ce chef-d'oeuvre de Molière, dans une adaptation fidèle au texte original, mettant en valeur toute sa puissance tragique et sa drôlerie.

Dom Juan est en enfer, pris dans le cycle sans fin de ses pulsions, de ses envies insatiables. Il est pris au piège de son désir. Plaisir et jouissance ne font qu'un : son plaisir et sa jouissance, exclusifs. Le voilà donc tel un enfant tout-puissant, un enfant terrible et terriblement esseulé, prêt à casser tous les jouets des autres, pour la seule raison qu'il est incapable de supporter un peu de vide ou de manque en lui. En cela il est aussi le stigmate, le spectre, le symptôme ou le relent, de toute une société contemporaine.

Qui donc pourrait-il bien vouloir sa rédemption ? Projeté dans cet espace métaphorique, digne d'un jardin d'enfants, il est flanqué d'un Sganarelle virevoltant, lequel tente de ramener ?ce maître sardonique, calculateur et cynique, sur le chemin de la vie. Mais l'homme est un animal solide, alors imaginez le mythe... ce mythe, précisément, d'un petit libertin, vaniteux et athée. Face à un être aussi désabusé, intouchable en somme, ces tentatives ?s'avèrent désespérés sans doute, voire provocatrices... mais elles créent un tel décalage, qu'elles ne manqueront pas de nous faire rire !

Dans son enfer de pacotille, Dom Juan entendra par la bouche de son pauvre valet, toutes les musiques qui ont fait sa légende : de la complainte de Don Elvire à l'ire de son père, des ritournelles des paysannes au silence glacé du Commandeur... elles bercent, ou hantent, désormais, sa propre mort.
Mais rien n'y fait. Plus on tente d'insuffler la vie, et plus le mal s'enracine, trouvant encore de nouveaux points d'ancrage. Mais attention, le mal fascine !