Très belle pièce au Lucernaire sur l'arnaque du travail uberisé et la desesperance qu'il entraîne, notamment sur les jeunes abusés par le statut d'auto-entrepreneurs alors que les sociétés qui les emploient économisent en fait leurs cotisations sociales et ne sont plus aucunement liées par des conventions et du droit social. Dans ce huis-clos à trois très bien fait, deux djeunes font l'expérience de la débâcle alors qu'ils veulent sortir la tête hors de l'eau pour ne pas connaître le sort de leurs parents, ici représenté par un père vieillissant, galet usé par des boulots de m... et une vie étroite, et pressentant en bon père un mauvais scénario qui s'annonce. Dans cette critique sans concession, vue d'un oeil un peu à la Ken Loach, les acteurs (dont l'auteur) sont très émouvants, perdus dans le manque d'information, manipulés et siphonnés par les subterfuges financiers, et rêvant un monde meilleur, rêvant à de l'oxygène. Une pièce ô combien actuelle. # écrit le 08/11/24
Pere Goriot La cage aux fauves Excellente surprise aux Théâtre des Gémeaux car la Comédie Humaine est un morceau, un monument, un pavé ! Delphine Depardieu, Jean-Benoit Souilh et Duncan Talhouët sont excellents dans cette adaptation épurée à la mesure du grandiose et de la verve critique de Balzac. Les trois acteurs font à eux seuls toutes les figures et les monstres de l'immense galerie entomologiste de Balzac dans un jeu impressionnant qui décrit un monde difforme, déformé par l'avidité. Si le portrait de la cupidité cynique et de la noirceur de la grande machinerie qu'est Paris ne vous fait pas peur, ses ambitions, ses arrangements et ses miroirs aux alouettes, foncez. La mise en scène de David Goldzahl est toute d'élégance, faisant le maximum avec le minimum. # écrit le 08/11/24
Cette comédie très grinçante et amusante ne plaira pas à tout le monde, mettant en scène une famille caricaturale qui semble sortir d'une BD de Reiser ou d'un film de Marco Ferreri. La vie y est formidable...et au premier chef l'absence de communication dans une agitation forcenée de conversations en panne, dans le bruit d'un vide que ponctuent inepties, grossièretés, jingles et pubs. La satire pousse au maximum la jouissance de l'absurdité de travers sociaux bien actuels et fonce dans le lard avec impertinence . À vous de voir ! C'est cruel, presque pas assez. Merci aux Gémeaux pour cette programmation audacieuse. # écrit le 04/11/24
Sam Karmann signe un magnifique seul-en-scène autobiographique qui tient presque plus du manifeste que du théâtre de "fiction", mais ce genre du seul-en-scène est précisément propice à cette expression (voir ces dernières semaines Eva Ramy, Melanie Page, Clothilde Aubert ). L'emouvant est que Sam Karmann fait se fondre travail d'acteur, qu'il est professionnellement, et mise à nu d'un roman familial qui nous transporte d'Egypte à Paris en passant par l'Italie, et de la médecine au théâtre. Dans ce jeu dangereux pour l'acteur qui est là son double et qui se joue lui-même devant nous, Kaufman est somptueux de narration amusée et grave, tour à tour tous les protagonistes dont il a les tics et les accents dans le sang, tour à tour ses émois d'enfant, d'ado, de jeune adulte qui ne comprend que partiellement les choses, ni qui il est vraiment , dans une longue transformation qui l'amènera à savoir quels sont les secrets bizarres de son identité et quelle est la vocation qui l'attend "au hasard" d'une croisée des chemins. Sous ses mots de confessions d'un acteur, l' aventure d'un homme devient une épopée, ce qu'elle est d'ailleurs, debordante d'un hommage ému et rétroactif aux aimés, aux proches disparus et dont, devant nous, il denoue le labyrinthe de faits et gestes, celui qui fait qu'il est Sam Karmann, acteur, né une fois de paternité étrange, deux fois né par la scène, trois fois maintenant devant nous à la Scala. Soirée souveraine. # écrit le 03/11/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Parmi les spectacles de lectures qui sont proposés à Paris, celui-ci, au magnifique Studio des Champs-Elysées, ne m'a pas très emballé. Dulery est très enthousiaste vis à vis de ses morceaux choisis , amoureux des lettres, mais curieusement ne donne pas l'impression de s'effacer assez devant eux. 19.5 en ce moment à l'Essaïon m'a paru plus convaincant dans un registre similaire . À la décharge de Dulery, la lecture en solo est très difficile : pas de dynamique entre acteurs, art consommé de la recitation et de la restitution, plus difficile que le doublage à cause de la scène . Ce que doit être une bonne incarnation, c'est au goût de chacun, y compris des spectateurs, mais la corde est encore plus raide quand s'ajoute au defi une multiplicité de textes divers. En passant, j'ai beaucoup aimé le Francis Carco où Dulery se lâche, et s'efface de plaisir. Excellent laïus aussi quand il explique que dire un texte destiné à être lu est tout un problème. On lui pardonnera volontiers d'être un peu poseur. # écrit le 01/11/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Une belle version ramassée et ensanglantée de l'Iliade à la Folie Théâtre. Non pas que le sujet soit de représenter toute l'épopée, mais une partie, la violence volcanique, et perçue notamment du côté féminin. Viol, asservissement, extermination , suicide, vies et amours déchirées, et quelquefois traîtres à la patrie, sont très bien exposés dans cette autre interprétation d'un texte où les femmes ne sont pas absentes (Hélène est cause de la guerre de Troie), mais pas vraiment la priorité de ou des aèdes sous le nom d'Homère, plus prompt à encenser vaillance, ruse, richesse, même si la tristesse transparaît. Ici, le cycle de la dévastation est une image-miroir des guerres actuelles, de l'effraction des corps, de la terre brûlée, du vent de folie, du fracas de l'absurde. Les acteurs, dont l'autrice également sur les planches, sont convaincants. Cendres et sang. # écrit le 30/10/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Jolie pièce de Marc Delaruelle au Studio Hébertot. Claude Mailhon et Patrice Ricci sont d'un jeu parfait dans cette empoignade du couple Châteaubriand. Madame est lasse de l'infatuation et des conquêtes de Monsieur et ne lui épargne pas ses flèches tandis que le colosse des lettres est vertigineux de mépris et de déni. Un régal d'escarmouche où les traits spirituels ne font pas oublier l'amertune et la condition servile de la femme à cette époque. # écrit le 30/10/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
Tres beau seule-en-scène avec Agathe Quelquejay qui n'a pas eu peur de la jactance de Jehan-Rictus élevée à un parler d'or, "rossignolé" . Cela peut rappeler le travail du Simonin argotique et soigné, mais dans un autre contexte à une époque bien plus éloignée. J'en ai retenu un certain stéréotypage par l'auteur de la vie des faubourgs comme peuvent l'être, au hasard du cataloguage, mauvais garçons, filles des rues , ouvriers qui triment, enfants brimés, mais il n'en reste pas moins une évocation sans retenue de la vie effrayante d'autrefois (1880-1920 ?) du petit peuple parisien miséreux, des "petites gens" aux petits metiers qui n'avaient guère d'espérance ni de filet de sécurité, sans sécurité sociale, sans retraite, sans aides, sans ce pognon de dingue qui désespère actuellement nos banquiers du gouvernement . Ces gens furent aussi nos aïeux, et de leurs combats, leurs vies difficiles, leurs parlers, leurs souvenirs il en reste encore sourdement quelque chose d'intime dans notre mémoire collective ( choses qu'on dut voir nos grand-parents jeunes ou nos arrière-grand-parents), et c'est une très bonne idée d'avoir ressuscité ces textes. Agathe Quelquejay est parfaite dans les divers personnages représentés qui traînent tous une infinie humanité et une vie déchiquetée. # écrit le 28/10/24 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
-Du Scapin à 100 000 volts qui ne sent pas le s(c)apin
10/10
Ouille, encore un Scapin ! Eh bien, celui-là était un très bon. Difficile de faire sortir du lot cette pièce archi jouée, pouvant parfois sentir l'ennui des sorties scolaires. La troupe jeune et pleine d'inventions de L'Éternel Été, multipliant les trouvailles dans les interstices du texte, s'est déjouée de la poussière des ans et a relevé le gant avec fantaisie au Théâtre Lepic. Les divagations et pantalonnades sont littéralement jouissives, sans temps mort et d'un comique virulent. Les acteurs s'y donnent à fond dans un évident plaisir de jouer et de maintenir une pression folle. Du délicieux Molière, à voir en famille car les caprices et soubresauts de l'intrigue voient se faire pâmer les petits zé les grands. Beaucoup de rires dans la salle. # écrit le 27/10/24
Très belle surprise au Théâtre La Flèche dans le 12e pour ce seule-en-scène de Clothilde Aubert qui n'a pas à rougir avec celles, par exemple, d'Eva Ramy (les deux se trouvant être du Conservatoire d'Art Dramatique ). Pêche, tempo endiablé, inventivité, histoires perso...mais qui ne suffiraient pas à monter un spectacle condensé tant il faut de la hargne et du talent. J'ai vu ce spectacle deux fois, pour le plaisir d'y ramener un ami. J'en retiens surtout pour ma part, dans un art du jeu tout en miscellanées et confess impromptues, l'affirmation de la femme, la prise en main de sa vie professionnelle, la critique fine et caustique du machisme ambiant, particulièrement dans le milieu du spectacle, et un hommage ému et universel à tout ce qui traverse la vie d'un humain ordinaire, enfance folâtre, grands délires adolescents, confrontation au monde dit "adulte" et fort problématique . Dans un maelstrom de fantaisie, Clothilde Aubert alias Yvonne implose, impose et expose l'urgence de l'Art dans un monde fou. Marché conclu, et ça n'a rien du tout d'une pièce bisounours, plutôt un solide bras d'honneur. Bravo à l'actrice à qui je souhaite le plus rapidement d'autres spectacles. S'il reste encore des places, j'envoie fissa ma fille. # écrit le 23/10/24